Shiisme, sagesse, théosophie et gnose



Bibliographie


- Anawati, Georges C.,"'?sâ", Encyclopaedia of Islam Online, Brill Academic Publishers.

- Brague, Rémi, Du Dieu des chrétiens et d'un ou deux autres, Flammarion, 2008.

- Corbin, Henry, En islam iranien, aspects spirituels et philosophiques, T. 1, 3 et 4, Gallimard, 1971.

- Corbin, Henry, L'Imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn 'Arabî, Entrelacs, 2006.

- Gloton, Maurice, Une approche du Coran par la grammaire et la langue, Albouraq, 2002.

- Ibn 'Arabî, Le livre des chatons de la sagesse (Fosûs al-Hikam), traduction en français de Charles-André Gilis, Albouraq, 1999.

- Jourdan, François, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans, des repères pour comprendre, Editions de l'Œuvre, 2007.

- Khalidi, Tarif, The muslim Jesus : sayings and stories in islamic literature, Harvard University Press, 2001.

- Lehenhausen, Muhammad (trad.), Jesus through shi'ite narration, selected by Mahdî Muntazir Qâ'im, Ansaryan Publication 2004.

- Lings, Martin, Le prophète Muhammad, Seuil, 2002.

- Rûmî, Jalâl-ud-Dîn, Le livre du dedans (Fihi-mâ-fîhi), traduit du persan par Eva de Vitray-Meyerovitch, Albin Michel, Spiritualités Vivantes, 1997.

- Rûmî, Jalâl-ud-Dîn, Odes mystiques (Dîwân-e Shams-e Tabrîzî), traduit du persan par Eva de Vitray Meyerovitch et Mohammad Mokri, Points, Sagesses, 1973.

- Urvoy, Marie-Thérèse, article "Jésus" in Amir-Moezzi, Mohammad Ali (dir.), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007.

Notes


[1] Ces prophètes sont appelés "ulû'-l-'azm", ou hommes de la décision. Certaines traditions incluent également David et son psautier.

[2] (3:45).

[3] Bahîra aurait ainsi reconnu le "Sceau de la Prophétie" ou "marque du Prophète" sur l'épaule du prophète Mohammad enfant.

[4] Le prophète Mohammad signa un pacte avec cette communauté, fondant ainsi leur protection et leur droit en tant que minorité en terre musulmane.

Ceci permettra par la suite de fonder le statut de "protégé" (dhimmi) ayant permis au cours des siècles suivants une riche - et souvent trop rare - coexistence entre les "religions du livre", notamment au Maghreb, en Espagne, en Mésopotamie, en Syrie…

[5] La signification de "masîh" comme "oint" est distincte de celle du christianisme, étant donné qu'il est dénié à 'Isâ toute nature divine.

"Masîh" n'en provient pas moins de la racine arabe "m-s-h" signifiant "oindre d'huile", provenant elle-même de l'hébreu.

[6] Lehenhausen, Muhammad (trad.), Jesus through shi'ite narration, selected by Mahdî Muntazir Qâ'im, Ansaryân Publication 2004.

[7] Cette notion est parfois traduite par "Esprit Saint" (Rûh al-Qudus), qui est cependant fondamentalement différente de la notion d'Esprit Saint comme troisième personne de la Trinité telle qu'elle est conçue par le christianisme. L' "Esprit divin" ou "l'Esprit de Dieu" tel qu'il est le plus souvent évoqué dans la tradition islamique fait référence au souffle divin ayant insufflé la vie à Adam et qui, par extension, désigne la part de divin présent dans chaque être animé par ce "souffle". Concernant l' "annonce" faite à Marie et la naissance miraculeuse du Christ selon l'islam, se référer à l'article "De Sainte Marie à Maryam Moqaddas : la Vierge dans la tradition islamique et la "Maison de Marie" à ?phèse", Revue de Téhéran, avril 2008.

[8] "Pour Dieu, l'origine de Jésus est similaire à celle d'Adam. Dieu l'a créé d'argile, puis lui a dit "Sois !" et il fut." (3:59).

[9] "Et quand Dieu dira : "Jésus, fils de Marie, rappelle-toi Mon bienfait sur toi et sur ta mère quand Je te fortifiais du Saint-Esprit. Au berceau tu parlais aux gens, tout comme en ton âge mûr."(5:110).

[10] Coran, 19:30-32.

[11] Cf. note 8.

[12] "(Rappelle-toi le moment) où les Apôtres dirent : "ô Jésus, fils de Marie, se peut-il que ton Seigneur fasse descendre sur nous du ciel une table servie ?" Il leur dit : "Craignez plutôt Dieu, si vous êtes croyants". Ils dirent : "Nous voulons en manger, rassurer ainsi nos cœurs, savoir que tu nous as réellement dit la vérité et en être parmi les témoins"."Dieu, notre Seigneur, dit Jésus, fils de Marie, fais descendre du ciel sur nous une table servie qui soit une fête pour nous, pour le premier d'entre nous, comme pour le dernier, ainsi qu'un signe de Ta part. Nourris-nous :

Tu es le meilleur des nourrisseurs." "Oui, dit Dieu, Je la ferai descendre sur vous. Mais ensuite, quiconque d'entre vous refuse de croire, Je le châtierai d'un châtiment dont Je ne châtierai personne d'autre dans l'univers." (5:112-115). "La Table Servie" est également le nom de la cinquième sourate du Coran.

[13] Ibid, 5:110.

[14] La sourate Al-Ikhlâs résume cette idée d'unicité et de transcendance absolue : "Dis : "Il est Dieu, Unique. Dieu, Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons. Il n'a jamais engendré, ni n'a été engendré. Et nul n'est égal à Lui" Ibid, 112:1-4.

[15] Ibid, 5:116.

[16] Ibid, 5:117.

[17] "Je t'enseignais le Livre, la Sagesse, la Thora et l'Evangile." (5:110).

[18] "Et Nous avons envoyé après eux Jésus, fils de Marie, pour confirmer ce qu'il y avait dans la Thora avant lui. Et Nous lui avons donné l'Evangile, où il y a guide et lumière, pour confirmer ce qu'il y avait dans la Thora avant lui, et un guide et une exhortation pour les pieux." (5:46).

[19] Coran, 57:27.

[20] "Mohammad est le Messager de Dieu. Et ceux qui sont avec lui sont durs envers les mécréants, miséricordieux entre eux. Tu les vois inclinés, prosternés, recherchant de Dieu grâce et agrément. Leurs visages sont marqués par la trace laissée par la prosternation. Telle est leur image dans la Thora. Et l'image que l'on donne d'eux dans l'Evangile est celle d'une semence qui sort sa pousse, puis se raffermit, s'épaissit, et ensuite se dresse sur sa tige, à l'émerveillement des semeurs. [Dieu] par eux [les croyants] remplit de dépit les mécréants. Dieu promet à ceux d'entre eux qui croient et font de bonnes œuvres, un pardon et une énorme récompense." (48:29).

[21] Matthieu, 13:23. Nous retrouvons la même parabole dans l'Evangile selon Saint Marc : "D'autres reçoivent la semence dans la bonne terre ; ce sont ceux qui entendent la parole, la reçoivent, et portent du fruit, trente, soixante, et cent pour un", Marc, 4:20.

[22] Matthieu, 13:38.

[23] "Et quand Jésus fils de Marie dit : "ô Enfants d'Israël, je suis vraiment le Messager de Dieu [envoyé] à vous, confirmateur de ce qui, dans la Thora, est antérieur à moi, et annonciateur d'un Messager à venir après moi, dont le nom sera "Ahmad"." (61:6).

[24] Coran, 4:157-158. Au sein même du christianisme, cette thèse est également soutenue par les docétistes.

[25] La figure de l'antéchrist ou du "Christ imposteur" (al-Masîh ad-Dajjâl) est une figure de l'eschatologie islamique prétendant tantôt égaler Dieu, tantôt être Dieu lui-même. Selon la tradition islamique, il est notamment prévu que lors du jour du Jugement Dernier, il apparaîtra aveugle de l'œil droit et engagera un ultime combat contre l'Imâm Mahdî ou "l'Imâm du Temps" (Imâm az-Zamân).

[26] "O gens du Livre [chrétiens], n'exagérez pas dans votre religion, et ne dites de Dieu que la vérité. Le Messie Jésus, fils de Marie, n'est qu'un Messager de Dieu, Sa parole qu'Il envoya à Marie, et un souffle (de vie) venant de Lui. Croyez donc en Dieu et en Ses messagers. Et ne dites pas "Trois". Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Dieu n'est qu'un Dieu unique. Il est trop glorieux pour avoir un enfant. C'est à Lui qu'appartient tout ce qui est dans les cieux et sur la terre et Dieu suffit comme protecteur." (4:171).

[27] Nous nous appuyons ici essentiellement sur la précieuse étude réalisée par François Jourdan dans son ouvrage Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans, des repères pour comprendre, Editions de l'Œuvre, 2007.

[28] Ibid, p.143.

[29] Bukhârî, 4:54:506.

[30] Coran, 5:82.

[31] Lings, Martin, Le prophète Muhammad, Seuil, 2002.

[32] 'Allâmeh Majlîsî, Bihâr al-Anwâr, 23, 96, 3.

[33] Prône de l'Imâm Mohammad Bâqir (Ve Imâm du chiisme), cité par Corbin, Henry, En islam iranien, aspects spirituels et philosophiques, Gallimard, T. 4., 1971, p.442.

[34] Selon la tradition chiite, la princesse Narkès serait la descendante de Simon-Pierre (Sham'ûn), présenté comme étant l' "héritier spirituel" (wasî) du Christ. Cf. "L'hagiographie du XIIe Imâm" in Corbin, Henry, En islam iranien, aspects spirituels et philosophiques, Gallimard, T. 4., 1971, p.442.

[35] Hagiographie du XIIe Imâm selon Shaykh Sadûq, traduit par Henry Corbin in Corbin, Henry, En islam iranien, aspects spirituels et philosophiques, Gallimard, T. 4., 1971, p.313.

[36] "La conception théophanique (nullement limitée à quelques savants spéculatifs, mais partagée par tous les milieux spirituels où firent éclosion les Apocryphes) est celle d'une Apparition qui est transparition de la divinité par le miroir de l'humanité, à la façon dont la lumière ne devient visible qu'en prenant forme et en transparaissant à travers la figure d'un vitrail. C'est une union qui est perçue non pas au plan des données sensibles, mais au plan de la Lumière qui les transfigure, c'est-à-dire dans la "Présence Imaginative". La divinité est dans l'humanité comme l'Image dans un miroir. […] Par contre, l'Incarnation est une union hypostatique. Elle advient "dans la chair".", Corbin, Henry, L'Imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn 'Arabî, Entrelacs, 2006, p.286.

[37] Cette vision est fondée sur l'anthropologie coranique selon laquelle Dieu aurait "insufflé" l'âme de chaque être. Cet événement est notamment relaté dans la sourate al-Hijr, lorsque Dieu s'adresse aux anges : "Je vais créer un homme d'argile crissante, extraite d'une boue malléable, et dès que Je l'aurais harmonieusement formé et lui aurait insufflé Mon souffle de vie, jetez-vous alors, prosternés devant lui" Alors, les Anges se prosternèrent tous ensemble", (15:28-30).

[38] Rûmî, Jalâl-ud-Dîn, Le livre du dedans (Fihi-mâ-fîhi), traduit du persan par Eva de Vitray-Meyerovitch, Albin Michel, Spiritualités Vivantes, 1997.

[39] Rûmî, Jalâl-ud-Dîn, Odes mystiques (Dîwân-e Shams-e Tabrîzî), traduit du persan par Eva de Vitray Meyerovitch et Mohammad Mokri, Points, Sagesses, 1973.

[40] "Il" fait ici référence à l' "Ami", c'est à dire la recherche de Dieu, ou de l'esprit divin présent dans chaque homme symbolisé par Jésus.

[41] Allusion à la sourate "La Lumière" du Coran.

[42] Rûmî, Jalâl-ud-Dîn, Odes mystiques (Dîwân-e Shams-e Tabrîzî), traduit du persan par Eva de Vitray Meyerovitch et Mohammad Mokri, Points, Sagesses, 1973.

[43] Cette conception du Christ est parfaitement reflétée par cette anecdote citée par Semnânî : "Jésus sommeillait, ayant une brique pour coussin de tête. Alors vint le démon maudit, qui s'arrêta à son chevet. Lorsque Jésus eut perçu la présence du maudit, il s'éveilla et dit : "Pourquoi es-tu venu près de moi, ô maudit ? - Je suis venu chercher mes affaires. - Et quelles affaires sont donc à toi ici ? - Cette brique sur laquelle tu reposes ta tête." Alors Rûh Allah (Spiritus Dei = Jésus) saisit la brique et lui lança à la face". Op. cit. Corbin, Henry, En islam iranien, aspects spirituels et philosophiques, T.3, Gallimard, 1971, p.284.

[44] Cette position a néanmoins été fortement critiquée par certains penseurs et gnostiques chiites comme Haydar Amolî, pour qui le sceau de la walâyat ne peut être que le Premier Imâm.

[45] Coran, 3:14.

[46] Mat. 19:29.

[47] "Les Sept organes subtils selon Semnânî" in Corbin, Henry, En islam iranien, aspects spirituels et philosophiques, T.3, Gallimard, 1971, p.287.

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Réflexion sur la notion de miracle et de prodige en islam à travers l'exemple de Karbalâ'i Kâzem, "signe" vivant de la foi de Amélie Neuve-Eglise

"Lumière sur lumière. Dieu guide vers sa lumière qui Il veut".

Sourate "Al-Nour" ("La lumière"), verset 35.

"Nous leur montrerons Nos signes dans l'univers et en eux-mêmes,

Jusqu'à ce qu'il leur devienne évident que cela est la Vérité.

Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin de toute-chose ?"

Sourate "Fussilat" (" Les versets détaillés"), verset 53.

Il y a une centaine d'années, dans un petit village du centre de l'Iran, un soir, un jeune paysan pauvre et analphabète ne rentre pas chez lui. Il ne réapparaît que le lendemain, après une mystérieuse rencontre dans le jardin d'un sanctuaire proche du village à la suite de laquelle il s'est évanoui. A son réveil, il se rend compte qu'il connait désormais le Coran par cœur dans ses moindres détails. Cet événement fera grand bruit à l'époque, dans un Iran où les idées communistes sont alors en pleine expansion. Il viendra bouleverser certaines idées établies et donner un souffle nouveau au message de la foi révélé quelques centaines d'années plus tôt à un homme illettré lorsque, au fond de la grotte de Hira, l'Angle Gabriel lui souffla : Lis ! (Iqrâ !). Cet exemple sera également l'occasion de réfléchir sur la notion de miracle en islam, qui doit être distinguée de celle de prodige et qui comporte une dimension éminemment plus haute que le simple miracle sensible en ce qu'il invite l'homme à laisser progressivement éclore en lui un horizon illimité de signes affermissant sa foi.

Récit d'un miracle [1]


Ce jours-là, Karbalâ'i Kâzem avait attendu depuis l'aube que le vent se lève pour battre le blé et que d'un souffle, il sépare les grains de la paille. En vain. Le crépuscule commençait à pointer à l'horizon. Karbalâ'i Kâzem, immobile devant un tas d'épis fraîchement cueillis, pensait aux pauvres du village à qui il aimait particulièrement donner une part de sa récolte chaque année, et qui allaient encore devoir supporter la faim ce soir. Il se résolut finalement à prendre le chemin du retour. Dans la semi-pénombre, une voix vint soudain briser le silence : "Karbalâ'i Kâzem ! Tu ne nous as rien donné cette année, nous aurais-tu oubliés ?" La pensée que ce père de famille croisé au hasard du chemin allait encore rentrer les mains vides fit naître en lui une tristesse indescriptible. Il retourna sur ses pas malgré lui, afin de réunir tant bien que mal quelques grains.

Chargé d'un petit ballot de blé et du fourrage pour ses chèvres, il reprit le chemin du retour. A mi-chemin, il décida de s'arrêter quelques instants pour se reposer dans un jardin abritant plusieurs Imâmzâdeh. [2] Au temps du calife Ma'moun, 72 descendants des Imâms chiites avaient décidé d'aller rendre visite à l'Imâm Rezâ, alors exilé à Mashhad. [3] Ils furent tués en chemin par les émissaires de la cour abbaside, avant d'être enterrés dans ce lieu désormais appelé Imâmzâdeh Sâleh et Shâhzâdeh Hossein [4], ou plus communément "les 72 corps" (haftâd-o-do tan).

Après une courte visite dans le sanctuaire, Karbalâ'i Kâzem s'assit quelques instants sur un banc à l'extérieur. En regardant à l'horizon, il aperçut soudain deux jeunes hommes qui semblaient marcher dans sa direction. Ils étaient vêtus de blanc et avaient un visage rayonnant. [5]

Karbalâ'i Kâzem fut particulièrement frappé par la grande beauté de l'un d'eux. Lorsqu'ils arrivèrent à sa hauteur, l'un des hommes l'interpella par son nom : "Karbalâ'i Kâzem ! Viens réciter une fâteheh [6] avec nous dans le sanctuaire !" Il leur répondit poliment qu'il avait déjà effectué sa visite, et qu'il devait rentrer au village nourrir ses chèvres. Mais l'homme l'invita de nouveau : "Pose ton fourrage ici, et viens avec nous réciter une fâteheh". Karbalâ'i Kâzem finit par accepter. Malgré leur apparence étrangère, ils semblaient connaître parfaitement les lieux. Une fois entrés dans l'Imâmzâdeh Shâhzâdeh Hossein, ils commencèrent à psalmodier quelques versets du Coran. Karbalâ'i Kâzem les écoutait en silence. Les deux hommes continuèrent leur récitation : "Dis : Il est Dieu, Unique…". [7] Ils se dirigèrent ensuite vers le sanctuaire de l'Imâmzâdeh Sâleh, où ils reprirent leur récitation. L'un des hommes se tourna soudain vers lui : "Karbalâ'i Kâzem ! Pourquoi ne lis-tu pas avec nous ?" et ce dernier de répondre d'une petite voix : "Monsieur, je n'ai pas été à l'école, je ne sais pas lire…" Il lui dit alors : "Regarde cette inscription, tu peux lire". Karbalâ'i Kâzem découvrit une inscription en lettres blanches et lumineuses qu'il n'avait jamais vue auparavant. Hébété, il répéta d'un souffle : "Je vous le dis, je ne peux pas…" L'homme le serra alors vigoureusement contre lui : "Lis maintenant !" Et soudain, dans une confusion indescriptible, les arabesques lumineuses trouvèrent un sens… La voix claire de Karbalâ'i Kâzem s'éleva : "Inna rabbakum Allah… Votre Seigneur, c'est Dieu… qui a créé les cieux et la terre en six jours, puis S'est établi sur le Trône. Toute gloire à Dieu, Seigneur de l'Univers !

La miséricorde de Dieu est proche des bienfaisants..." [8] L'homme souffla ensuite sur son visage et pressa le Coran contre son cœur. Lorsque Karbalâ'i Kâzem releva la tête pour l'interroger, les deux hommes avaient disparu, ainsi que l'inscription lumineuse. Saisi d'un effroi indescriptible, Karbalâ'i Kâzem perdit connaissance. Il ne revint à lui qu'à l'aube, le corps tout endolori et se demandant ce qu'il faisait là. Il se releva et rentra rapidement au village. Sur le chemin, des mots arabes dont il ignorait jusqu'à la veille l'existence même lui vinrent à l'esprit… bientôt suivi du souvenir de l'événement de la veille qui fit renaître en lui une peur intense. Après avoir nourri ses chèvres et porté le petit ballot de blé chez l'homme qu'il avait croisé la veille, il se rendit chez Hâjj Shaykh Sâber 'Arâqi, l'imam du village, et lui raconta ce qui lui était arrivé la veille. D'abord dubitatif, il finit par amener le Coran et à lire le début d'une sourate. Et Kâzem Karbalâ'i de réciter la suite, avec une prononciation et une maîtrise parfaite. Il récita ensuite une à une les sourates du Coran d'une voix claire, sans aucune hésitation.

La nouvelle ne tarda pas à se répandre dans le village. Les gens commencèrent à affluer afin de voir le "prodige" et à lui arracher fébrilement ses vêtements en guise de "tabarrok". [9] L'imâm le ramena chez lui avec difficulté et lui conseilla de quitter le village à la nuit tombée afin de fuir l'hystérie des habitants. Karbalâ'i Kâzem se réfugia dans le village de Seyyed Shahâb, où son secret ne sera découvert que quelques décennies plus tard.

Un "juste"


Mohammad Kâzem Karimi Sârouqi dit "Karbalâ'i Kâzem" est né en 1883 dans le petit village de Sârouq, situé à proximité de la ville d'Arak, à 3 heures de Téhéran. Durant sa jeunesse [10], lors du mois de Ramadan, un religieux envoyé à Sârouq pour y effectuer un prêche quotidien évoque un jour l'importance de l'aumône légale (zakât) et du cinquième (khoms), en insistant sur le fait que si un musulman ne donne pas chaque année le cinquième de son revenu, ses biens seront illégitimes (harâm) et ses actes d'adoration ne seront pas acceptés par Dieu. Profondément marqué par les paroles du religieux, Karbalâ'i Kâzem décide de se rendre chez son père [11] pour lui demander s'il s'acquitte bien du khoms. Face à la colère de ce dernier lui demandant de ne pas se mêler de ce qui ne le regarde pas, Karbala'i Kâzem décide alors de quitter la maison familiale et de s'établir hors du village ; gagnant péniblement sa vie en ramassant du bois sec.

Quelques années plus tard, regrettant ses paroles, son père lui demande de revenir et lui donne une parcelle de terre ainsi que trois sacs de semence de blé afin de lui permettre de vivre de façon indépendante. Avant même de semer, Karbalâ'i Kâzem décide de donner la moitié de ses sacs à titre d'aumône aux pauvres du village. Après quelques mois et au cours des années suivantes, il choisi de donner la moitié du fruit de son travail aux plus nécessiteux - bien davantage que l'aumône légale -, tandis que l'abondance de ses récoltes ne tarit pas et que sa générosité commencent à être connue dans le village.



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