JAMAIS SANS L'ISLAMune semaine après, je revins de chez l'avocat, le dossier sous l'aisselle, l'amertume dans le cœur et un nouveau projet dans la tête. ainsi, j'ai perdu toute confiance à la justice de ce pays généreux que j'ai aimé et dans lequel je n'ai commis depuis que j'avais foulé son sol en 1983 jusqu'à ce jour là , aucune faute susceptible de nuire à son peuple, à ses intérêts ou à son ordre public. j'y ai certes exercé librement ma fonction d'imam mais toujours avec le souci de préserver le climat de paix et de respect que j'aidais à faire prévaloir entre les différentes communautés qui coexistaient en belgique. j'étais pour la confrontation des idées et non pour l'échauffement des sensibilités ou l'affrontement des passions ou le fracas des armes. malgré tout, on se méfiait du musulman barbu. en fait, je n'étais victime, dans cette méfiance à peine cachée, ni des juges en tant que personnes humaines, ni des autorités communales, ni du peuple belge accueillant et sympathique mais du système politico-juridique qui opta, au grand malheur des uns et des autres, pour la politique de l'intégration de la communauté musulmane à la société occidentale au lieu de lui accorder simplement le droit du développement autonome dans le cadre d'une organisation judicieuse, souple et contrôlable. la politique de l'intégration des nouvelles générations musulmanes ne laissait pas d'autres choix aux juges des tribunaux belges que celui de contribuer par le biais des décisions et des jugements émis à l'occasion des litiges personnels et familiaux, à la dislocation des familles patriarcales fort attachées à leurs traditions religieuses. les femmes et les enfants étant en général plus disposés aux solutions faciles et plus attirés par les préoccupations de l'immédiat et de la vie ménagère, il s'agit de les couper des éléments les plus coriaces, les époux et les pères musulmans dans la résistance à l'assimilation souhaitée et planifiée deviendrait alors caduque voire nulle. permettre à un père musulman, imam de surcroît, de récupérer ses enfants serait aller à l'encontre de cette politique assimilatrice arrêtée en haut lieu par le pouvoir en place. ayant fixé ses fins et ses moyens, le système ne pouvait guère faire attention aux accidents de parcours, aux victimes fauchées au passage, aux injustices criantes commises par les mécanismes qui exécutaient ses ordres. je n'avais donc aucune chance de pouvoir arrêter le monstre humano-mécanique qui allait droit sur moi et sur mes enfants. le mieux était d'éviter le choc en sortant de sa trajectoire. arrivé à sefrou sans les enfants, je ne pouvais que dire à mon père toute la vérité sur sa belle fille et ses petits enfants. j'ai voulu, de prime abord épargner à sa santé défaillante les émotions vives et douloureuses mais à des questions précises et répétées, ne pouvaient correspondre que des réponses claires et nettes. quelques jours après mon arrivée, mon père émit le désir d'aller passer ses derniers jours dans son village natal, non loin de sefrou. je l'y ai porté et décidai de rester avec lui et de ne pas le quitter. quand on parlait des enfants restés en belgique, il comprenait tout mais ne disait rien. "pourvu que cela ne le tourmente pas outre mesure " me répétais-je. a peine un mois après mon arrivée, un agent de police vint m'apporter une convocation du chef du département des renseignements de police à sefrou. je fus obligé de laisser mon père avec les autres membres de la famille et de confier mon testament et mes directives aux personnes intéressées qui priaient allah de me soutenir dans ma nouvelle épreuve. je fus reçu dans un climat de détente et de respect mutuel. une partie de l'inquiétude que j'avais se dissipa, l'autre causée par l'état de mon père persista jusqu'au retour à touffahat.
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