Introduction à la notion de Mardjà'îyàt (guidance spirituelle)



La notion de mardjà’îyàt peut être pris dans le sens de magistère clérical ou de pôle de référence. Ce principe existe chez les chi’ites depuis la grande occultation de notre 12ème imam (as). Selon le dogme shiite, durant la petite occultation entre l’an 874 et l’an 941, l’imam (as) va continuer à communiquer avec sa communauté et à diriger les affaires par l’intermédiaire de ses représentants ou nâ’ib. Il y en a eu quatre et depuis la mort du dernier d’entre eux, la communauté n’a plus de chef visible absolu, jusqu’au jour de l’avènement du MAHDI, qui aura la tâche d’instaurer un règne de justice et de vérité. Le mardjà’îyàt prend son sens dans cette délégation du pouvoir. Cette doctrine est celle des shiites imâmites ou plus communément appelé Dja’farite (nom dérivant de notre 6ème imam). Il a été nécessaire de refuser le vide religieux et politique engendré par l’Occultation de notre imam (as) et de s’en remettre aux savants théologiens (oulema). Deux fonctions doivent donc être assurées durant l’occultation de notre Imam (as) : théologique et politique.

En 1501, le Shâh Ismail fonde en Iran l’Etat Safavide prenant le Shiisme comme religion officielle. Durant cette dynastie la question du pouvoir et de l’imamat se fit plus pressante et se pose dans ces termes : faut-il que l’interprétation de la volonté de notre 12ème imam (as) soit confiée à un descendant du Prophète (P) et en l’occurrence au souverain safavide qui se prétendait en être un ou est-il préférable de la confier au consensus de la communauté exprimée par les oulemas les plus qualifiés c’est-à-dire les moujdtahid ? Les oulemas prennent finalement de l’importance à la chute de la dynastie en 1722. Durant le règne safavide l’unité de la communauté shiite fut ébranlé par plusieurs crises parmi lesquelles l’opposition entre l’école des akhbari (traditionaliste) à l'école ousouli (fondamentaliste). Les akhbari rejetaient l’idjtihàd et ne reconnaissent que le Coran et la tradition du Prophète et des imams comme source unique de droit. Ils soutiennent que chacun doit s’efforcer de suivre l’Imam Caché directement et non par l’intermédiaire d’un moudjtahid. L’autre école soutient par contre l’autorité légitime des oulemas en matière d’affaires religieuses. De cette école se développera le concept selon laquelle, en l’absence de notre imam (as), les plus instruit des oulemas de la communauté doit être choisi comme modèle à suivre (mardjà' al àlam ; mardjà' a1 taqlid) et donc investi de l’autorité suprême sur la communauté. Formulée ainsi cette théorie est relativement récente : elle date sans doute de l'époque safavide, mais l'existence d'un mardja' al taqlid unique n'est attestée que depuis le milieu du 19è siècle.

Le premier dignitaire shiite reconnu comme autorité suprême fut Mohamed Hassan al-Najafi (mort en 1850), auteur de l’ouvrage de jurisprudence, Jawaher al Kalam. L'autorité de son successeur, sheikh Mortaza Ansari (mort en 1864) rayonna jusqu'en Inde et en Turquie. Ce grand théoricien de la jurisprudence shiite du 19ème siècle définit son rôle ainsi: le pouvoir de promulguer des décrets religieux (fatwa), le pouvoir de juger et d'arbitrer les conflits entre personnes (hokouma, qui n'a pas ici le sens moderne de pouvoir politique), le pouvoir d'administrer les biens et les personnes (wilaya). Ce troisième principe est sujet à des divergences d’interprétation. Ansari estime que seul le Prophète et après lui les imams (as) après lui avaient une pleine autorité dans les domaines temporel et spirituel. Pendant l’Occultation de notre imam (as) le pouvoir de punir et de répondre aux situations nouvelles non prévues par la jurisprudence est délégué aux docteurs de lois. Mais dans l’interprétation de Ansari, cette autorité ne peut être exercée que dans un sens très restrictif, dans certains types de pouvoir seulement et non pour exercer le gouvernement. A partir de là, la Mardjà’îyà va jouer un rôle de plus en plus essentiel dans la vie de shi’ites en Irak et en Iran notamment. L’influence politique des théologiens tendra aussi à se développer devenant essentielle dans des évènements comme la révolution constitutionnelle de 1906 en Iran ou celle de 1920 en Irak. Tout ceci va inspirer la théorie du gouvernement islamique de l’Ayatollah Khomeyni (wilayat a1 faqih ou gouvernement du juriste théologien). Cette théorie minimise la focalisation la focalisation exclusive de la doctrine sur les douze Imams (as). Il met plus l’accent sur le sens profond de l’imamat comme leadership spirituel et politique et sa raison pure d’être : l’actualisation du principe de justice. C’est ainsi que l’ Ayatollah Khomeyni revendique le pouvoir pour la classe des théologiens, les considérant comme étant les plus qualifiés pour mener à bien cette tâche et aucun système politique ne peur égaler les principes de l’Islam lorsqu’ils sont appliqués par ceux qui les connaissent le mieux. C’est ce principe qu’on a essayé et qu’on essaie peut-être toujours encore d’appliquer en Iran depuis 1979.

Il est important de préciser qu’il existe une grande notion de démocratie dans la Mardjà’îyà car il n’y a pas qu’un seul Mardjà' al Taqlid pour l’ensemble des Shi’ites du monde et chacun exprimant les détails de la pratique religieuse qu’ils préconisent. C’est un gage et une garantie contre les risques d’autoritarisme. Actuellement, les shi’ites ont la possibilité de choisir en matière de Taqlid plusieurs Mardjà’ : Ayatollah As Sîstàni, Ayatollah Khàménéy, etc…Sous certaines conditions, il est également possible de suivre les lois d'un Mardjà' défunt, sauf pour les nouvelles lois nées à partie de nouvelles situations. On peut noter que la grande majorité des Khojà Shia Ishna Asheri suivent actuellement le Taqlid de Ayatollah As-Sîstàni. Les prédécesseurs de As-Sîstàni furent Ayatollah Al Goulpayghàni, Ayataollah Al Khoei, Ayatollah Al Mohshine Al Hakim, et Ayatollah Al Bouroujardi.