Chapitre I : Le phénomène religieux et l'origine du sentiment religieux
Cette affirmation n'est qu'une prétention dénuée de toute preuve. Samuel King dit à ce sujet: "L'origine de la religion est un mystère et l'un des secrets de l'existence. Les savants ont à ce propos avancé des théories innombrables, certaines plus logiques que d'autres. Mais il n'en demeure pas moins que les meilleures de ces théories, au point de vue scientifique, ne sont pas exemptes d'objections, tout en restant logiques. C'est la raison pour laquelle les sociologues divergent gravement au sujet de l'origine de la religion."5
Nous dirons cependant en réponse aux propos de Russel, qu'en admettant que la motivation première et initiale de l'humanité pour croire au Créateur ne soit que la peur, peut-on considérer cela comme une preuve de ce que Dieu est une illusion, et qu'Il n'existe pas? Y a-t-il une objection à ce que la peur soit un nlobile pour que l'homme se mette à la recherche d'un abri pour s'en libérer, et parvienne à la réalité? Si la peur est à l'origine d'un succès, peut-on dire que puisque la peur est la motivation de l'acte ayant conduit à ce succès, il faut nier à ce dernier toute réalité et le considérer comme illusoire?
Est-il logique d'affirmer par exemple que la médecine n'existe pas, sous prétexte que l'homme l'a inventée à cause de la peur de la maladie et de la mort? Le fait est que la science médicale est une réalité, que la motivation première pour sa découverte en soit la peur de la maladie et de la mort ou autre chose. Dans tous les incidents et les évènements de la vie, la foi en un créateur omniscient et omnipotent est un appui et un refuge réel et puissant. Et cela est en soi une question. Que la motivation primordiale de la foi des hommes soit la peur des éléments, et que de ce fait ils se soient mis à la recherche d'un protecteur, cela est une autre question. Et Ces deux problèmes doivent être examinés séparément.
Il n'y a pas de doute qu'au début de son existence, l'humanité s'est trouvé confrontée aux évènements terrifiants de la nature, comme les inondations, les tremblements de terre et les épidémies. Le spectre de la peur jetait son ombre funeste sur tous les aspects de la vie et de l'esprit. L'humanité cherchait un point d'appui qui puisse lui servir d'abri en cas de panique, et de garant de la tranquilité d'ame, jusqu'à ce qu'elle puisse vaincre progressivement, par un effort continu, l'ombre de la peur et de l'humiliation, et qu'elle en triomphe.
Les recherches sur la vie des hommes primitifs, et la découverte de pièces attestant que la peur régnait sur leurs esprits, ne constituent pas un argument définitif que la peur et l'ignorance étaient le seul facteur de l'inclination vers la religion. Cette façon de penser témoigne de l'étroitesse de vue de son auteur. Car on peut tirer une conclusion générale des études et recherches historiques quand on a réexaminé et profondément analysé toutes les phases de l'histoire de l'humanité, et non en considérant un seul angle de l'histoire si pleine de vissicitudes.
Il ne faut jamais prendre l'emprise de la peur sur toutes les dimensions de la vie humaine à des périodes spécifiques et déterminées, pour critère de jugement total sur toutes les périodes de l'histoire. N'est-ce pas juger hâtivement que de considérer toutes les idées et sentiments religieux des hommes, et la tendance à l'adoration de Dieu à toutes les époques dont la nôtre, comme la cause de la peur et de l'effroi de la suprématie des éléments naturels, de la guerre et des épidémies?
En principe, les hommes les plus croyants ne sont pas les plus faibles. Ceux qui au cours de l'histoire ont hissé haut le drapeau de la religion figuraient parmi les hommes les plus énergiques et les plus intrépides. Jamais la foi d'un individu ne s'accroît à mesure que s'aggrave sa faiblesse. Et le chef religieux des hommes n'en est pas le plus lâche, le plus incapable et le plus vil. Peut-on imputer la foi des milliers de savants et de penseurs, à leur peur et leur panique devant par exemple les inondations, les tremblements de terre et les maladies?
Ou bien encore peut-on expliquer leur croyance, aboutissement de recherches logiques et scientifiques ardues, par leur ignorance et leur méconnaissance des causes naturelles des phénomènes? Comment doivent juger les hommes doués d'intelligence? En outre, l'homme n'incline pas à la religion pour gagner la paix intérieure. Celle - ci est plutôt acquise comme un des fruits de sa foi et de sa croyance.
Selon les savants croyants, l'univers est un système de causes et d'effets déterminés. Et l'ordre précis des choses témoigne de l'existence d'un principe de Science et de Puissance. Des dessins improvisés et disposés pêle - mêle sur une toile, ne peuvent pas refléter le talent d'un peintre; c'est plutôt un tableau longtemps mûri, et exécuté avec soin et minutie qui pourrait devenir son chef - d'oeuvre, et révéler la maîtrise de son art.
D'autre part, ceux qui voient dans les croyances métaphysiques le simple reflet des conditions économiques objectives, et qui s'attachent à montrer un lien direct entre les conditions sociales existantes et la religion, affirment que celle - ci a de tout temps été au service des colonialistes et des exploiteurs. C'est la classe dominante qui créerait l'idéologie religieuse pour pouvoir en son nom réprimer la resistance des masses populaires exploitées, et s'en servir comme un fer de lance dans l'entreprise de mystification de la classe laborieuse, et amener cette dernière à la compromission.
Sans doute, la religion comme toute autre chose dans ce monde peut faire l'objet d'un mauvais usage. Dès qu'elle sort de sa voie, elle devient un instrument entre les mains des profiteurs rapaces qui cherchent à asservir les peuples. Mais de tels abus ne doivent pas servir de prétexte aux opportunistes pour clouer au pilon tout ce qui a pour nom religion et croyance. Enfin, il faut séparer les religions authentiques des formes religieuses perverties concues par les colonialistes et ayant véritablement un contenu d'opium des peuples.
Il est possible que dans beaucoup de sociétés humaines, des conditions économiques défavorables, la stagnation et l'arriération soient accompagnées par une effervescence religieuse. Mais cette simultanéité des phénomènes ne laisse transparaître aucun lien de cause à effet entre eux. Parce que nous constatons aussi qu'il arrive parfois qu'une société en pleine expansion économiq ue et sociale soit aussi le théâtre d'une intense foi religieuse, pendant qu'une autre jouissant d'un même épanouissement matériel demeure indifférente aux croyances métaphysiques. De même, en un lieu de pauvreté et de misère l'astre religieux peut se coucher, alors que dans un autre tout aussi défavorisé, le même astre ray z ine dans toute sa splendeur.
Cette absence remarquable de corrélation entre les conditions économiques et l'éclosion ou le déclin de la ferveur religieuse est une preuve manifeste de ce fait que pour découvrir le lien de causalité, la synchronicité n'est pas suffisante. Il faut aussi une autre spécificité, à savoir que l'émergence et la disparition d'un phénomène dépend de l'existence ou de la non - existence d'un autre phénomène. Cette non-corrélation, nous pouvons l'observer dans deux sociétés qui sont sous la domination et la répression de la classe possédante. Nous y voyons l'apogée et le déclin du sentiment religieux dans les mêmes conditions sociales; dans l'une des sociétés, la religion est rejetée, et dans l'autre, elle est répandue et florissante. Autre point, la tendance religieuse n'est pas la cause des frustrations matérielles; c'est plutôt l'abandon et l'indifférence à l'égard de la religion qui est à l'origine du penchant matérialiste et de la propension à l'accumulation.
Ceux qui s'adonnent sans retenue à la concupiscence et aux plaisirs mondains, se moquent de la religion. Sur ce, les faits tangibles tendent à nous montrer que l'homme est enclin à la religion sous toutes les conditions. Nous devons donc avoir en vue les motivations psychologiques authentiques et les particularités personnelles des hommes, et non les conditions économiques.
En examinant les objectifs des religions célestes, nous parvenons à cette conclusion que la garantie du progrès social et de l'égalité entre les hommes, en matière économique en particulier, est l'une des causes pour lesquelles les prophètes ont été envoyés et pour lesquelles les hommes adhèrent à la religion. Elle est l'un des intérêts que présente la religion aux hommes.
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