LA REDACTION DU CORAN40000 manuscrits anciens ont échappé aux vandales
Bagdad : de notre envoyé spécial, Thierry Oberlé
Publié le 05.05.2003
D'une valeur inestimable, le Coran rédigé de la main de l'imam Ali repose en lieu sûr à Bagdad. Avant d'échapper aux pillards, l'ouvrage du gendre et cousin du prophète et premier martyr des chiites assassiné à Nadjaf en 632 avait déjà survécu à bien des désastres. Au XIIIe siècle, il a traversé sans encombre les vagues successives de destruction des Mongols qui dévastèrent à la fin de l'âge d'or des califes l' «ancien monde». Pourtant, à en croire la légende, les «fils de l'enfer» venus d'Asie centrale auraient poussé la barbarie jusqu'à ériger un pont pour franchir l'Euphrate à partir des livres de l'immense bibliothèque de Bagdad, descendante de celle d'Alexandrie dont elle avait sauvé de nombreux volumes. La fable est évidemment fausse. Reste qu'à cette lointaine époque des dizaines de milliers de manuscrits appartenant au patrimoine de l'humanité furent sauvés des vandales. Il en fut de même lors de la mise à sac des bâtiments publics de la capitale irakienne au lendemain de la prise de la ville par les troupes américaines. Le Coran d'Ali se trouve actuellement au fond d'une malle de fer entreposée dans un abri antiatomique du quartier chic d'al-Mansour. Il est enfermé dans un bunker en béton armé avec d'autres trésors culturels de grande valeur. Le livre sacré des chiites doit cet étonnant destin à la persévérance de quelques passionnés irakiens d'art ancien. Dépourvu de fenêtres, le bâtiment de la taille d'un gymnase dispose d'une unique ouverture composée de deux portes blindées séparées par un sas. Construit comme des dizaines d'autres durant la guerre contre l'Iran, il abrite dans ses entrailles des textes du savant al-Kindi, auteur de traités embrassant tous les champs de la connaissance des mathématiques à la géographie en passant par la magie. On y trouve également des textes sur la sphéricité de la Terre, des descriptions uniques du ciel, des traductions du latin à l'arabe du scientifique chrétien du VIIIe siècle Homain Ben Izaak, des livres d'al-Hamli l'astronome. Les documents témoignent de l'extraordinaire effervescence intellectuelle du Bagdad de la dynastie abbasside et des contes des Mille et Une Nuits. Ils émanent de la «maison de la sagesse», un centre fondé par le calife Haroun al-Rachid où travaillaient les scientifiques, les penseurs et les lettrés de l'âge d'or. Environ 2 000 corans enluminés au fil d'or sont stockés dans une salle. Quelques volumes ont la particularité de se dérouler verticalement de manière à figurer des formes géométriques. Certains d'entre eux étaient visibles à Paris à l'occasion de l'exposition «Splendeur et majesté des corans» organisée à la Bibliothèque nationale en 1987. L'abri renferme aussi des tableaux peints sur du papier de soie, des gravures, des dessins. Il contient des parchemins de Saladin et des échanges de courrier entre califes et sultans. Ainsi qu'un verset du Coran gravé dans un épi de blé. Les pièces sont numérotées, classifiées et placées sous scellés dans 500 caisses de fer cadenassées. Au total, 40 000 documents sont en sécurité, soit la totalité des richesses du musée des manuscrits Dar Saddam.
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