L'Europe et l'Islam identitaire



L'Islam et les musulmans ont un rôle très important dans l'évolution des idées philosophiques et politiques de l'Europe depuis longtemps. La plupart des grands penseurs européens sont d'avis que l'Europe a toujours profité des sources originales de la culture musulmane pour développer la civilisation européenne, en se servant des acquis scientifiques, techniques et intellectuels des musulmans.

De nos jours encore, les penseurs et les philosophes occidentaux accordent une importance toute particulière à la place et au statut de l'Islam et aux intérêts que les Européens portent à la religion musulmane. Au-delà des événements récents tels que les attentats du 11 septembre 2001, l'invasion américaine en Afghanistan, l'exagération en ce qui concerne le danger des Talibans et d'Al-Qaïda, qui ont attiré l'attention des Européens sur l'Islam et les événements concernant le monde musulman, il faut souligner l'intérêt exprimé par les penseurs européens pour mieux connaître le rôle de l'Islam et de ses aspects pragmatiques à l'intérieur des structures sociales et politiques du continent européen.

Par ailleurs, au-delà des points de vue anciens – pour ne pas dire désuets et archaïques – comme l'idée de l'établissement d'une culture laïque dans les structures sociales et politiques de l'Europe, aujourd'hui, le Vieux continent est témoin du développement et du progrès d'une "nouvelle identité" fondée sur le discours de l'Islam. En effet, ce discours propose un regard nouveau et plus réaliste sur le passé du continent européen.

Il est également à noter que les populations musulmanes résidant dans les pays membres de l'Union européenne (les musulmans représentent près de 10% de la population en France, ils constituent également des communautés minoritaires importantes dans d'autres pays européens) ne sont plus considérés aujourd'hui comme des communautés composées d'immigrés, car la quatrième (et parfois la cinquième) génération des musulmans sont désormais des citoyens à part entière et des Européens de confession musulmane. Les populations musulmanes peuvent, sans aucun doute, jouer un rôle de premier plan dans la vie sociale, politique et économique des sociétés européennes. En d'autres termes, il serait regrettable d'ignorer le poids des populations musulmanes au sein des sociétés européennes, et ce d'autant plus que le nombre des musulmans d'Europe ne cesse d'augmenter de jour en jour, causant une croissance démographique considérable.

Il est évident que les populations musulmanes introduisent de nouvelles revendications et de nouvelles exigences dans la sphère intellectuelle, sociale et politique de l'Europe. Il est certain que ces nouveaux éléments seraient très importants pour les systèmes européens.

La nouvelle configuration sociale et économique de l'Europe et le développement des frontières de l'Union européenne vers les pays à majorité musulmane comme l'Albanie et la Turquie, ont conduit les Européens à essayer d'établir une nouvelle interaction avec la culture et le discours islamiques. Par ailleurs, l'apparition et le développement de nouvelles relations politiques et économiques entre les pays membres de l'Union européenne avec les Etats musulmans, ainsi que la distance de plus en plus remarquable entre l'Union européenne et les Etats-Unis, ont tous contribué à la création d'un nouveau climat qui pourrait favoriser une nouvelle lecture de la question de la coexistence entre l'Islam et le christianisme. Pendant une période historique donnée, l'Europe a été dominé par la culture et la logique de la modernité qui se fondait sur le développement et l'expansion du capitalisme et de la domination de la classe capitaliste. Pendant cette période, l'Europe s'est emprisonnée dans le cadre strict des règles de la modernité. A bien des égards, le modernisme était parfois plus obscurantiste que la culture du Moyen-Âge. Le modernisme a sérieusement porté atteinte à l'esprit et à l'âme de la spiritualité en Europe. Il a fondé le nouveau système de distribution du travail et le machinisme, éloignant les hommes de leur origines spirituelles et morales. Cependant, l'ère du rationalisme européen n'a pas anéanti totalement les fondements de la religiosité et de la spiritualité dans le Vieux continent. Il est vrai que le rationalisme était le principal noyau du modernisme, mais l'esprit moral et le spiritualisme ont pu subsister en Europe, sous forme d'un discours philosophique et ethnique.

Dans ce cadre, nous pouvons dire que certains thèmes des écoles philosophiques de Hegel, de Kant et des penseurs et des philosophes post-modernes ont contribué à la sauvegarde des fondements spiritualistes, pendant la période du modernisme, en essayant d'émanciper les Européens du machinisme.

Paradoxalement, le point fort et le talon d'Achille du modernisme étaient le rationalisme. En réalité, les penseurs et les philosophes post-modernes ont réussi à prouver que le principe du rationalisme n'était pas parfait et irréprochable comme le prétendait les partisans du modernisme européen. Cette prise de conscience, qui s'était manifesté sous forme du rationalisme, avait permis aux Européens de se libérer du spectre de l'obscurantisme et des superstitions d'antan, en plaçant la culture générale à un niveau plus élevé. La logique moderne et la philosophie des Lumières avaient ouvert la voie vers le progrès et le bien-être matériel des habitants du continent européen. Mais l'approche dominante et unilatérale du rationalisme a considérablement affaibli les piliers et les fondements de la spiritualité et de la religiosité dans le Vieux continent.

La culture moderne et le rationalisme avaient appris, certes, aux Européens de pouvoir dominer leur environnement et maîtriser la nature, pour pouvoir déterminer eux-mêmes leur sort dans la vie matérielle. Ils sont arrivés à dominer la nature pour assurer leur progrès et leur développement, et atteindre un niveau plus élevé de la vie matérielle. Cette approche moderne leur a permis indiscutablement d'aplanir le chemin vers le progrès et le développement de l'humanité tout entière, mais dans le même temps, le rationalisme et le modernisme ont barré la route vers l'élévation et la perfection spirituelles. Les approches unilatérales du modernisme ont engendré de grandes et profondes crises structurelles dont le point culminant était la crise du nihilisme.

Le nihilisme était une conception quasi-philosophique qui niait les critères de base de la raison et du rationalisme. Mais il ne pouvait pas, certes, libérer l'Europe des crises créées par le modernisme. En réalité, le recours au nihilisme ne pouvait que changer la forme de la question, sans pouvoir pour autant la résoudre, car le nihilisme souffrait, à son tour, de ses paradoxes fondamentaux. Par conséquent, le recours de l'Europe au nihilisme ne lui a pas permis de trouver une alternative appropriée pour les crises du rationalisme.



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