Chapitre XVII : Les raisons de la mécréance et de l'athéisme



D'une part, l'homme subit l'attraction intérieure de la rel igion qui lui recommande de surmonter tous ses désirs et d'orienter ses forces dans le sens du bien et d'autre part, il est toujours sous l'influence de ses instincts.
Une société ou'l'on inculquerait, au nom de Dieu et de la religion, que la voie du bonheur passe par le renoncement aux biens de ce monde, susciterait forcément une réaction opposée, car l'homme ne pouvant s'imposer une privation si rigoureuse finit par céder totalement aux revendications de ses instincts et à écarter la religion.

Or, tout cela n'a rien à voir avec la logique authentique de la religion qui est de préserver l'homme de l'asservissement aux instincts et de l'aliénation par l'attachement servile aux choses matérielles. Elle veut élargir l'horizon de vue jusqu'au royaume de l'invisible, en cultivant en lui les valeurs morales et spirituelles qu'offre la foi en Dieu, tout en lui permettant de jouir largement des biens matériels.

* * *

Certains s'imaginent que le bonheur consiste dans la t ransgression des interdits religieux, que la religion combat toute sorte de plaisir, et que Dieu offre à l'homme le choix entre l'un ou l'autre monde: l'ici - bas ou l'au - delà. Or, cette conception de la religion est erronée et contraire à la réalité.

Si la religion veut jouer un rôle dans la bonne orientation des hommes, c'est. parce que la soumission aux instincts et passions et leur relâchement inconditionnée ne peuvent que faire leur malheur, et les faire chuter de leur rang élevé à un rang plus bas que celui de l'animalité. D'où les interdits promulgués par les lois célestes et d'où aussi la dépendance entre le bonheur ici - bas et celui de l'au - delà.

Il en va de même pour les devoirs et les responsabilités qu'elle édicte. Les exercices et les rites qu'elle impose visent avant tout à changer l'homme, non à réduire ses jouissances mondaines.
Les rites d'adoration sont comme une vague puissante qui soulève les eaux dormantes du coeur, pour les transformer et y insuffler la vie. Ils sont la clef de voûte de l'édifice religieux, des actes et des exercices très lourds dont l'influence va jusqu'au tréfonds de l'âme, et éradique les bases du vice et de la bassesse. Ils haussent les esprits aux sommets de la perfection. Il n'y a point de contradiction entre le spirituel et le temporel, le bonheur spirituel conditionne le bonheur matériel.

Les préceptes défectueux du christianisme ont eu une influence négative sur Russel au point de lui faire écrire:
"Les enseignements du christianisme mettent l'homme face à deux malheurs, à deux frustrations: ou bien le malheur dans ce monde et la privation de ses jouissances, ou bien le malheur de l'au - delà avec la privation de ses délices. L'Eglise considère que l'homme doit forcément supporter l'un ou l'autre des deux malheurs. Celui qui se résigne au malheur de ce monde et s'en prive, jouit en échange des délices du paradis; et celui qui désire jouir des plaisirs de ce monde, se prépare pour les frustrations de l'au - delà."

La diffusion de ces idées qui présentent la vision religieuse comme une vision superficielle a beaucoup déterminé le sort de la religion dans notre siècle.
L'impact laissé par cette représentation fausse de la religion dans les mentalités est trop fort pour être abordé succinctement. La tendance au matérialisme est dûe, sciemment ou inconsciemment, à cette erreur d'appréciation du message religieux.

L'homme n'est nullement condamné à supporter l'un ou l'autre des malheurs. Il lui est même possible de réunir les deux bonheurs d'ici - bas et de l'au - delà. Pourquoi Dieu qui est si clément et si généreux, ne le voudrait - il pas à ses créatures?

* * *

Le dernier facteur à l'origine du développement de la pensée matérialiste est celui de la concupiscence, où l'on s'abandonne sans retenue à ses penchants les plus bas. Comme l'action a pour base l'intention et qu'inversement, l'intention ou la pensée donne un sens à l'acte, il va de soi qu'un homme dépravé et corrompu finit par tuer en lui - même les sens du vrai et du beau.
Il perd progressivement le sens du divin et du sublime. Comme il s'est choisi un autre critère dans la vie et ne pense qu'au monde, refusant même de comprendre qu'il a été créé pour un but déterminé, il est tout entier tourné vers les plaisirs et la débauche. Les racines qui devaient alimenter son âme pour l'élévation vers la perfection tarissent et meurent.

De même, la croyance en Dieu est comme une graine qui a besoin d'un sol et de conditions déterminées pour germer et se développer. Dans un millieu favorable, moralement sain et protégé, la foi avance plus vite et plus facilement et sans dévier de sa source. Autrement, elle est menacée d'étouffement et de stérilité.

Le tumulte de la vie, le rythme accéléré des évènements, le développement vertigineux de la tech nologie, l'abondance des richesses et des possibilités de jouissance, la multiplication des beautés factices et critères sans cesse changeants de la personnalité, ont créé une confusion dans l'esprit des hommes qui n'ont plus le temps ni moyen de penser à eux - mêmes. Ils résistent de toute leur force à l'idée de religion, et refusent de se soumettre à tout système incompatible avec le train de vie moderne, et sourtout qui viendrait contred ire ses intérêts matériels.

Par conséquent, dans un tel environnement il ne peut demeurer de la religion que le nom et les gestes.
Des hommes fourvoyés par la concupiscence et le monde ne peuvent pas être en même temps en quête de Dieu. Quand l'une de ces deux tendances prévaut, l'autre lui cède le pas. L'adoration de Dieu gouvernera de nouveau les hommes quand la domination des instincts sera rompue et qu'un effort soutenu chassera de la direction des esprits le démon matérialiste, et que se réalisera le modèla achevé de l'émancipation de l'homme des chaînes de la nature.
Plus l'objectif sera élevé et éloigné, plus il demandera d'effort. Si nous nous fixons Dieu pour objectif, la voie pour y arriver est droite et infinie. Mais le choix d'un tel objectif aura pour effet de trouver des ré ponses à bon nombre de questions et de problèmes qui encombrent l'esprit.

En acceptant Dieu comme but on surmonte la contrad iction entre la perfection et la liberté. Toutes les peines et difficultés que supportent les hommes pour réaliser la perfection recevraient leur sens authentique dans la croyance en la vie éternelle. La perfection par l'adoration de Dieu n'est pas contradictoire avec la liberté, et n'est pas une source d'aliénation.
C'est en réalisant notre perfection volontairement et en connaissance de cause que l'on peut prétendre à la libération de soi et non en se laissant déterminer par la contrainte de l'Histoire ou de la nature.

L'obéissance de l'homme à la nature est en effet une aliénation, et toute perfection qui se réaliserait en se conformant obligatoirement à elle, n'est qu'obéissance aveugle.
Ainsi, nous découvrons dans l'école matérialiste qui voit la perfection et le bonheur dans la liberté, au sens de l'émancipation à l'égard de la nature, une contradiction entre la liberté et la perfection. Quelle sorte de perfection serait celle qui épuiserait toutes les énergies de l'homme sans rien lui donner en contrepartie?

L'effort -même avec des mobiles humains- n'est il pas une vanité pour celui qui ne croit pas au principe créateur, même s'il est fructueux et utile pour la société. Si mon sacrifice pour la promotion de l'espèce humaine, ne me rapporte rien, et ne me laisse rien espérer, il serait contraire à la liberté et à la raison.

Quand les chefs de file du matérialisme prétendent que la contradiction entre la perfection et la liberté est un problème perplexe, ils n'envisagent pas la perfection divine mais seulement la perfection matérielle, qui est en réalité dépourvue de but.

 



back 1 2 3