PSALMODIE DU SAINT CORAN



Psalmodie et graphie musicale

La psalmodie coranique, essentiellement homophonique, doit uniquement à la mémoire auditive sa transmission de génération en génération et d'un pays musulman à l'autre. On tolère à peine la psalmodie du Coran et la scansion des panégyriques du Prophète par la célèbre chanteuse égyptienne Umm Kalthûm, fille pourtant d'un récitateur apprécié du Coran.

Cette attitude ne résulte nullement d'une quelconque hostilité à l'égard de la femme, mais s'inspire uniquement de la pieuse intention d'épargner à l'auditeur toute pensée profane qu'une voix féminine captivante pourrait susciter, la psalmodie devant par son caractère solennel, ses modulation graves, créer un état d'âme, favoriser le repliement sur soi-même et faciliter l'élan du croyant vers Dieu.

Il n'y a pas de psalmodie transcrite. Les anciens ouvrages de tajwîd, les ouvrages de musicologie anciens et modernes ne contiennent aucune sourate transcrite. Lorsque, ces dernières années, le chanteur égyptien bien connu 'Abdul Wahhâb voulut se livrer à ce travail, il se heurta à la violente réaction de l'université d'Al Azhar et dut, en s'excusant, renoncer à son projet.

Quand on se penche sur l'importance du facteur religieux dans la vie musulmane, d'une part, et, d'autre part, sur l'immense production réalisée par les penseurs de l'Islam dans l'ordre de la science, de la philosophie, des lettres et des arts, on est quelque peu surpris de l'absence de toute graphie, de toute convention pouvant permettre de fixer et de maintenir à travers les siècles la manière de " psalmodier avec soin le Coran ".

Cette grave constatation est valable aussi bien pour la psalmodie coranique, le chant religieux (jadd) que pour le chant profane (hazl). Il y a eu, certes, des musicologues musulmans, mais ils n'ont pu prétendre à ce titre qu'en qualité d'historiens ou de mathématiciens, car à la lumière des ouvrages qui traitent de cet art et qui nous sont parvenus, on s'aperçoit que la musique est conçue par les auteurs musulmans comme une branche de la philosophie et de la science. Elle est réduite, en théorie, à la mélodie. Ses théoriciens, dont les plus représentatifs sont Al Kindî (mort en 248/862), Mas'udî (mort en 346/957), Al Farabî (mort en 339/951), Ibn Sinâ (Avicenne, mort en478/1085), les auteurs anonymes de l'encyclopédie des " Frères Fidèles "(V-VI s/XI-XIIs), Sâfî-d-Dîn al Baghdâdî (mort en 656/1258) et leurs successeurs, depuis Ibn Khaldûn (mort en 808/1406) jusqu'aux musicologues de l'époque contemporaine, comme Ahmed Kamel-l-l-Khoulay, en ont étudié particulièrement le côté mathématique, avec une rigoureuse application des lois de la physique, une remarquable précision des rythmes, de la métrique, une division de l'octave en dix-sept intervalles, l'exposé des cinq espèces de quarte, la distinction des modes et la curieuse théorie de la circulation qui par transport de chaque gamme des dix-sept degrés de l'échelle peut donner mille quatre cent vingt-huit combinaisons tonales. Mais ils n'ont élaboré aucun système d'écriture musicale.

Ils avaient pourtant connu et médité les systèmes de notation musicale des peuples dont ils se sont souvent inspirés dans leur effort créateur : Grecs, Byzantins, Persans, Arméniens, Indiens d'Asie, etc. Ils n'ignoraient ni Alypius, ni Pythagore, ni Platon, ni Boèce, ni les neumes des Mozarabes d'Espagne, ni les règles de notation liturgique des chrétiens orthodoxes d'Orient. Ils n'ont, cependant , ni retenu et adopté un système d'écriture musicale étrangère, ni inventé et codifié un système original.

Si de nos jours, grâce aux travaux d'orientalistes et de musicologues occidentaux de renom qui se sont penchés sur ce problème (d'Erlanger, Rouanet, Garra de Vaux, Riano, Kosegarten, Andrès, La Borde, etc.) et grâce aussi au disque, la musique arabe profane peut-être étudiée et partiellement transcrite ou enregistrée, on ne saurait en dire autant de la musique religieuse et en particulier de la psalmodie, si on excepte les enregistrements du Coran psalmodié sur disque, dus à l'initiative de l'Office des affaires culturelles islamiques de la République arabe unie, avec le concours de savants lecteurs comme le cheikh Muhammad al Husari, le cheikh Mustapha Ismâ'îl, ainsi qu'à l'initiative de certaines maisons de disques comme Cairophon qui a fait appel au cheikh Taha El Fachni, et Philips qui a mis à profit la collaboration du cheikh Abû-l-'Aynayn Shuwaysha.

La tradition ayant considéré l'assimilation de la psalmodie au chant comme une hérésie, il n'est pas étonnant de constater qu'on ne trouve aucune allusion à cet art dans les traités de musique, bien que la plupart des grands chanteurs appartiennent à des familles de lecteurs réputés.

Structure et transmission de la psalmodie

La psalmodie coranique est foncièrement monodique. Sa structure révèle des lignes mélodiques constantes et des enrichissements ou fioritures, qui varient d'un pays à l'autre et d'une génération à l'autre. Il arrive que chez le même récitant ces ornements varient d'un jour à l'autre. Ces enrichissements ou arabesques constituent l'apport personnel.

Chaque maître (cheikh) initie à son art sacré ses disciples, lesquels à leur tour initient les leurs, et ce, de siècle en siècle, jusqu'à nos jours. Mais cette transmission vocale risquait de subir les atteintes du temps, les trahisons des interprètes, d'autant plus que dès le début de l'Islam, plusieurs écoles de lecteurs du Coran se sont formées, et qu'aucune de ces écoles ne s'est préoccupée de transcrire la psalmodie du texte sacré.



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