PSALMODIE DU SAINT CORANPsalmodie et structure des versets
La psalmodie doit, en premier lieu, tenir compte de la valeur quantitative des éléments plus ou moins rimés que sont les versets. On peut constater à la lumière de ce qui précède que chacune des cent quatorze sourates qui forment la Vulgate islamique, comprend un nombre variable de versets de longueur inégale, allant d'un seul mot aux plus amples périodes. Ces versets appartiennent à une forme littéraire particulière à la langue arabe, le saj', ou prose rimée, qui n'est en réalité ni prose ni vers, mais tient des deux et en réunit les qualités. Chaque verset contient une phrase, parfois moins, parfois davantage. Il peut ainsi se suffire à lui-même au point de vue du sens, ou dépendre du verset précédent ou suivant, d'où une disposition où l'assonance et la rime tiennent lieu de coupe (fâsila). Cette fâsila (séparante, virgule) est en réalité moins une césure qu'un appui rythmique qui ne coïncide pas toujours avec la fin de la phrase. Les syllabes ouvertes ou fermées qui marquent cette assonance sont Longs ou courts, amples ou concis, distants ou rapprochés, les versets se présentent, dans leur enchevêtrement, comme des quantités syllabiques dont le récitant doit observer le déploiement vocal et la durée variable des pauses qui en interrompent la succession. Psalmodie et phonétique
Les théoriciens du tajwîd et les maîtres du tartîl se sont penchés ensuite sur le problème de la formation et de l'émission des sons, en accordant aux consonnes, aux voyelles, aux syllabes, à l'accent, aux rythmes et à la pause, ainsi qu'aux divers organes de l'appareil phonatoire (poumons, pharynx, cordes vocales assimilées à une membrane vibratoire, fosses nasales, voile du palais, luette, bouche, langue, dents, lèvres) toute l'importance scientifique requise. Ils n'ont pas manqué de conclure que la mise en jeu de ces différents organes (expiration, articulation, vibration des cordes vocales, résonance nasale) produit le son (harf) dont la tonalité et la qualité sont en connexion avec la cavité buccale. La psalmodie doit donc tenir compte de ces phénomènes organiques, de l'écartement des mâchoires qui conditionne la forme et le volume de la cavité buccale, de la position de la langue dans la bouche et des cas de vibration des lèvres. Dans cet ordre d'idées la consonne (sâmita) est assimilée à un obstacle dans l'appareil phonatoire que le souffle expiratoire doit franchir, et la voyelle (musawwita) est assimilée à un mouvement (haraka) qui met en branle la consonne et dont l'absence conduit dans l'émission du son à une quiescence (sukûn). L'art de psalmodier exige donc, faute de notes appropriées, la détermination et le classement des points de sortie (makhârij) du son, c'est-à -dire les points mêmes où se forment l'obstacle à franchir et le mouvement qui l'affecte, ainsi que la nature, le mode et l'intensité de l'articulation. On trouvera un schéma de ces points d'articulation établis avec une indéniable autorité scientifique par as-Sakkâkî (mort en 626/1229) dans son traité bien connu Clef des Sciences, éd. du Caire (1317). Rythmes
On arrive ainsi à la notion de rythme, c'est-à -dire au retour à des intervalles de durées comparables, d'impressions auditives analogues. A ce titre, le rythme sert théoriquement de support métrique à la psalmodie. Mais comme les versets n'ont aucun rapport quant à la succession des quantités syllabiques et à la mesure avec les vers, la psalmodie se réduit en général à une succession de périodes de durée inégale, destinées à marquer les mouvements de l'âme vers Dieu beaucoup plus qu'à produire un effet musical. De ce fait l'aspect modal l'emporte sur l'aspect rythmique. Nous avons dit que la psalmodie est essentiellement monodique et diatonique : elle exclut toute succession chromatique. Si l'on devait se permettre de traduire cette réalité par des termes musicaux, on pourrait ajouter que la place des tons et des demi-tons, par rapport à la tonique, se trouve chaque fois modifiée selon le point de départ adopté, d'où sa richesse modale extraordinaire où toute notion de rythme mesurable est à exclure. Le rythme de la psalmodie est en effet libre, il combine à son gré, tout en demeurant précis, les éléments binaires ou ternaires : temps premiers indivisibles, pratiquement égaux entre eux, se combinant librement ; temps composés inégaux se groupant en rythmes composés, en incisives, en membres, en phrases pour aboutir à une haute tenue, analogue à celle du planus cantus ou chant grégorien, et dont la tessiture comprend plus de deux octaves.
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