Mohammad Bâqer al-Sadr»Tous les récits ont ce trait commun et caractéristique que le passage de la topogra-phie du monde sensible à celle du monde inconnu, s'accomplit sans que les sujets aient conscience du moment précis où s'opère la rupture. Ils ne s'en aperçoivent que lorsqu'ils sont déjà «ailleurs». Détail encore caractéris-tique: l'irruption du monde de l'Imâm dans notre monde peut se prolonger par quelque trace matérielle (v. g. un édifice construit sur son ordre); ou, fait plus troublant, le pèlerin peut rapporter de sa rencontre un objet témoin (un livre, une bourse, par exemple). Il arrive aussi que la portée de l'événement fasse du récit un véritable récit d'initiation, c'est-à -dire d'initiation à la doctrine shî'ite, au secret de l'Imâmat (deuxième et troisième récits).»(145) Il est à noter qu'ici, Henri Corbin a mis l'accent, essentiellement, sur la tendance mystique "'irfânî" dans le Chî'isme. Les personnes qui aspirent à rencontrer l'Imam caché, agissent à la façon d'un soufi en quête d'un maître ou d'un guide spirituel. Mais au lieu de rechercher, à travers une tarîqah (congrégation soufie) un maître soufi, aux pouvoirs nécessairement limités, le mystique choisit comme "pôle spirituel directement l'Imam lui-même sans intermédiaire", lequel étant le seul à même de dévoiler toutes les révélations prophétiques, permet au fidèle d'atteindre à l'épanouissement spirituel auquel il aspire. Ceci dit, ces récits et ces témoignages multiples, sont racontés avec une telle force de conviction qu'elle ébranle l'incrédulité ou les réserves de tout esprit sceptique. Loin d'être usés à la longue et à travers les âges, ils paraissent plutôt renouvelables et toujours d'actualité. Conscient que cette vérité pourrait laisser perplexes certains lecteurs, Henri Corbin après avoir posé la question inévitable "qui vient spontanément à l'esprit du lecteur informé de l'évolution de l'Orient contemporain: que signifie, par exemple, pour la jeunesse iranienne de nos jours, la mystérieuse figure du XIIe Imâm?", il y répond en rapportant un témoignage significatif à cet égard: «Et cela donne justement son importance au témoignage que j'eus l'occasion de rapporter ailleurs et qu'il m'apparaît opportun de reproduire ici, parce qu'il émanait d'un jeune Iranien de mes amis (un "moins de trente ans"), éminemment représentatif de la jeunesse étudiante formée en Occident pour laquelle sont en général réunies toutes les conditions du déracinement spirituel (nous pourrions dire: toutes les conditions qui mènent à l'oubli de ses origines le jeune prince parthe du «Chant de la Perle» des Actes de Thomas). Il achevait ses études dans une université de Suisse. Il eût pu être comblé en ce pays, et pourtant il passait la plupart de ses soirées à évoquer avec nostalgie, en la compagnie d'un jeune compatriote étudiant comme lui, les vastes déserts de l'Iran et le pèlerinage de la ville sainte de Qomm (à 140 km au sud de Téhéran). Et voici qu'une nuit, le pèlerinage qu'il attendait de pouvoir accomplir en réalité, il le fit en songe. Le récit qu'il m'en fit portait si typiquement les traits d'un songe initiatique, la puissance archétype s'y fait sentir avec une telle force que je lui demandai de le mettre par écrit. Avec sa permission, tout en ne le désignant discrète-ment que par ses initiales H. B., je reproduis ici son récit: "Une nuit, j'ai rêvé qu'avec mon ami nous nous étions mis en Chronologie : Les Douze Imâms d'Ahl-ul-Bayt Le tableau ci-après présente : -à gauche, le nom de chaque Imam, suivi de son/ses surnom(s), et -à droite, la date ( Hégire) et le lieu de sa naissance, suivie de la date et du lieu de son décès, suivie des noms des califes officiels et la période de leur règne sous lequel l'Imam exerça son Imamat. Abréviations
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