La taqwâ, ou l’esprit de la religion et la piété selon le Coran



La taqwâ, ou l’esprit de la religion et la piété selon le Coran
D’après le commentaire Al-Mizân de ’Allâmeh Tabâtabâ’i

 

Notion fondamentale du Coran, le terme de taqwâ est évoqué dès ses premiers versets et revient tel un leitmotiv dans de nombreuses sourates. Le Coran lui-même est présenté comme "un guide pour ceux qui font preuve de taqwâ (al-mottaqin)" (2:2) [1], tandis que cette dernière est considérée comme ce qui fait, aux yeux de Dieu, la noblesse et la valeur de l’homme : "Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est celui parmi vous qui fait le plus preuve de taqwâ (atqakum)."(49:13). [2]

Loin de se réduire à un concept particulier de l’islam, le Coran souligne que l’invitation à la taqwâ fut le propre de chaque prophète avant Mohammad. Un verset de la sourate "Les femmes" résume ainsi l’appel des différents messagers avant lui : ""Faites preuve de taqwâ envers Dieu !" Voilà ce que Nous avons enjoint à ceux auxquels avant vous le Livre fut donné, tout comme à vous-mêmes" (4:131). [3] La taqwâ fait donc partie des bases et principes de l’ensemble des religions, et est également présentée comme la condition de la rédemption : "Si les gens du Livre avaient la foi et faisaient preuve de taqwâ (ittaqou), Nous leur aurions certainement effacé leurs méfaits et les aurions certainement introduits dans les Jardins du délice." (5:65). Quel est le sens de cette notion-clé de la foi qui a constitué le cÅ“ur de l’appel des prophètes ? Nous allons, au cours de cette étude, nous efforcer d’expliciter le sens de ce concept, ses différents degrés, ainsi que ses multiples conséquences sur le plan individuel et social.

La signification de la taqwâ

Aucun concept coranique ne semble avoir été traduit de façon aussi différente que celui de taqwâ : tantôt évoquée par "piété" [4], tantôt par "crainte", "crainte de Dieu" ou encore "abstention", la taqwâ ne peut cependant être réduite à ces notions bien qu’elles fassent partie de ses effets. Néanmoins, définir une chose par certains de ses effets ne peut que s’avérer imprécis et confus.

Le mot taqwâ est issu de la racine waqâ signifiant prémunir, préserver ou encore protéger. La taqwâ exprime donc l’idée de préserver une chose de tout ce qui peut lui porter atteinte ou faire obstacle à sa réalisation et l’atteinte de sa propre perfection. [5]

Dans le monde matériel, chaque être humain cherche à se préserver de multiples dangers pouvant atteindre son corps par des moyens divers : des vaccins, une certaine hygiène de vie… Dans des milieux plus sensibles, un plongeur ou un astronaute par exemple protège son corps de l’attaque du froid ou de gaz nocifs par une combinaison appropriée et en se prémunissant de bouteilles d’oxygène. De même, dans un contexte religieux, la taqwâ fait référence au fait de préserver son l’âme face à toute chose pouvant lui nuire et l’éloigner de sa vérité profonde. [6] A ce titre, le Coran présente la taqwâ comme un "vêtement" : "O enfants d’Adam ! Nous avons fait descendre sur vous un vêtement pour cacher vos nudités, ainsi que des parures. - Mais le vêtement de la taqwâ voilà qui est meilleur" (7:26). Tout comme le vêtement extérieur protège le corps des diverses agressions du monde extérieur, le vêtement de la taqwâ permet de préserver l’âme des différentes tentations et épreuves de la vie de ce monde qui tendent à l’éloigner de son Créateur.

En d’autres termes, la taqwâ est un état psychologique et spirituel fondé sur la foi et la connaissance de soi, dont l’une des conséquences est l’effort de s’abstenir de tout péché et de ce qui contrevient aux lois établies par Dieu – qui ne sont autre que des moyens de réaliser sa propre vérité. La taqwâ n’est donc pas spécifiquement un attribut de la religion, mais bien de l’être humain.

En outre, ce concept est basé sur une conception de l’homme selon laquelle la vérité profonde de ce dernier ne réside pas dans son apparence matérielle, mais consiste en une réalité immatérielle qu’il se doit de préserver et de faire croître de la meilleure façon possible. [7] Cette réalité, qui est son âme insufflée par Dieu, fait de lui un lieu-tenant (khalifa) de Dieu sur terre qui détient en puissance l’ensemble des Noms divins qu’il doit s’efforcer d’actualiser au travers de ses pensées et actes. Par conséquent, la taqwâ est un moyen permettant la domination du moi réel sur cet autre moi physique animé de mille passions et voué à disparaître. C’est une recherche constante d’une maîtrise de soi et de la réalisation d’un équilibre entre l’ensemble des facultés humaines, chacune étant employée sans excès au moment approprié. En réalisant cette harmonie, l’être humain pourra alors devenir peu à peu la manifestation des attributs de Justice, d’Amour, de Pardon...



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