La taqwâ, ou l’esprit de la religion et la piété selon le CoranLes conséquences d’un tel état sont nombreuses : la taqwâ entraîne notamment un sentiment de crainte du châtiment divin et d’espoir en Sa miséricorde, mais aussi le renforcement de la volonté, la patience face aux épreuves [8], le remerciement des grâces… Elle est donc une source de fortification de l’âme lui facilitant son cheminement vers l’Au-delà , et est dans ce sens également qualifiée de "provision" : "Et prenez vos provisions ; mais vraiment la meilleure provision est la taqwâ." (2:197). En résumé, comprendre la notion de taqwâ implique de faire appel à tout un ensemble de concepts et à une conception particulière de l’homme. En outre, dans de nombreux versets du Coran, la taqwâ est employée en faisant plus spécifiquement référence à certaines de ses conséquences telles que la piété, la crainte, l’espoir… Il est donc impossible de présenter une traduction précise de ce mot en français qui pourrait convenir à tous les cas d’occurrence. Nous avons donc choisi ici de conserver ce terme tel quel dans sa version arabe originelle. Dans le Coran, les personnes pratiquant la taqwâ sont évoquées par le mot mottaqin, terme dérivé de ittiqâ’ qui exprime la même idée de "conservation" ou "défense", et que nous reprenons également au cours de cet article. [9] La taqwâ, une disposition prenant ses sources dans la nature divine originelle de l’homme
Qualifiée métaphoriquement de "vêtement" et de "provision", la réalité même de la taqwâ est présentée par le Coran comme étant une inspiration divine dans l’âme : "Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée ; et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa taqwâ." (91:7-8). Selon ’Allâmeh Tabâtabâ’i, il existe en réalité deux sortes de taqwâ : l’une est innée et prend sa source dans la nature divine originelle de l’homme (fitra), qui est naturellement prédisposée à accepter le message des prophètes. [10] C’est de cette taqwâ dont il est question dans le verset présentant le Coran comme "un guide pour ceux qui font preuve de taqwâ (al-mottaqin)" (2:2) [11]. La seconde est l’une des conséquences de la foi en la révélation, et vient renforcer la première : "Quant à ceux qui se mirent sur la bonne voie, Il les guida encore plus et leur inspira leur taqwâ" (47:17). Par conséquent, la taqwâ fait partie des dispositions naturelles de l’homme mais doit être sans cesse entretenue. L’effort pour renforcer et conserver cet état spirituel se situe donc à la base de toute éducation spirituelle. [12] Dans ce sens, certaines obligations religieuses comme le jeûne qui en font partie permettent de renforcer la taqwâ : "O les croyants ! On vous a prescrit le jeûne […], ainsi atteindrez-vous la taqwâ" (2:183). La taqwâ est une disposition spirituelle qui prend sa source non pas dans les actes, mais dans les cœurs : "Quiconque exalte les injonctions sacrées de Dieu, s’inspire en effet de la taqwâ des cœurs." (22:32). L’apparence de nombreux actes est en effet similaire : une prière faite pour Dieu ou par orgueil, une relation sexuelle entre deux époux ou lors d’un adultère… dès lors, seul l’acte qui prend sa source dans cette réalité spirituelle intérieure sera considéré comme bon et acceptable. Taqwâ et proximité divine
La taqwâ est la base sur laquelle doit reposer le lien du croyant avec Dieu : ""O Mes serviteurs qui avez cru ! Faites preuve de taqwâ envers votre Seigneur" (39:10) ; "Faites preuve de taqwâ envers Dieu donc, ô vous qui êtes doués d’intelligence, vous qui avez la foi." (65:10). [13] Cet état spirituel d’attention permanente permet l’atteinte d’une plus grande proximité avec Dieu : "Certes, Dieu est avec ceux qui ont fait preuve de taqwâ" (16:128). Le Coran souligne également cet aspect dans le cadre de la critique des pratiques sacrificielles de l’époque de la révélation : "Ni leurs chairs ni leurs sangs n’atteindront Dieu, mais ce qui L’atteint de votre part c’est la taqwâ." (22:37). La taqwâ n’étant autre, comme nous l’avons dit, que la recherche constante de sa propre perfection sur la base du respect des lois divines, ceux qui s’efforcent dans cette voie sont présentés comme ceux à qui revient une énorme récompense (3:1712) et à qui le paradis est promis : "Et ceux qui avaient fait preuve de taqwâ (ittaqû) envers leur Seigneur seront conduits par groupes au Paradis." (39:73) ; "Tel est le paradis qui a été à ceux qui ont fait preuve de taqwâ" (13:35). A l’inverse, l’absence de taqwâ, toujours associée à l’absence de foi, est source de perdition : "Si les habitants des cités avaient cru et fait preuve de taqwâ (ittaqû), Nous leur aurions certainement accordé des bénédictions du ciel et de la terre. Mais ils ont démenti et Nous les avons donc saisis pour ce qu’ils avaient acquis." (7:96). De ces versets, nous pouvons donc déduire que "la bonne fin est réservée à la taqwâ." (20:132). Un état qui doit embrasser l’ensemble des aspects de la vie du croyant
Le Coran enjoint le croyant à faire preuve de taqwâ dans sa vie privée, notamment dans ses relations conjugales (4:129), s’il décide de divorcer (65:1) ou encore concernant ses conjectures sur autrui (49:12). Outre cette dimension personnelle, il est intéressant de constater que tout au long du Coran, la nécessité de respecter la taqwâ dans les différents domaines de la vie sociale est soulignée, notamment dans le domaine financier (3:130), lors de la contraction d’une dette (2:282), d’un témoignage (5:8), de l’application du talion (2:194), ou encore de la fondation d’une mosquée (9:108-109). [14] La taqwâ est également associée aux bonnes œuvres (5.93), ainsi qu’à la notion d’équité : "Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la taqwâ" (5:8). Nous comprenons ici que chaque aspect de l’existence implique une taqwâ particulière : faire preuve de taqwâ dans le commerce signifie éviter de dépenser son argent dans des transactions vaines et non utiles aux autres, le taqwâ dans l’enseignement consiste à respecter les besoins de chacun et à n’enseigner que ce qui participe au perfectionnement de la personne, etc. La taqwâ est donc un état qui doit embrasser l’ensemble des aspects de la vie du croyant et devenir une source qui irrigue l’ensemble des pensées et actes. [15] Loin d’être une attitude consistant à fuir les aspects mondains de l’existence, le vêtement de la taqwâ invite au contraire à s’y confronter sans pour autant être affecté par les dangers qu’ils peuvent entrainer. Un mottaqi peut ainsi être comparé à une personne se rendant dans un milieu potentiellement affecté de multiples bactéries et microbes mais qui, grâce au développement de son système de défense immunitaire, reste préservée de toute atteinte. La taqwâ comme source réelle de respect de la loi
Toute vie en société nécessite l’édiction de lois afin de garantir les droits et la sécurité de ses différents membres – il est ici question de lois fondamentales et universelles telles que l’interdiction de tuer son prochain, de voler, de violer ses engagements… et non de lois religieuses au sens strict. Le respect de ces lois implique à son tour la création de forces permettant leur application et punissant tout contrevenant par différents types de peines. Cependant, dans la majorité des cas, une société ne peut empêcher ses membres de se livrer à des actes répréhensibles dans l’intimité ou encore dans l’espace public en cas d’absence d’un pouvoir contraignant. Ainsi, l’ordre apparent de la plupart des sociétés contemporaines est éminemment précaire : il suffit d’une coupure d’électricité pour que des magasins soient pillés, ou que les radars ne fonctionnent plus pour que les limitations de vitesse appartiennent soudain au passé. Nous le voyons, la base du respect des lois dans la plupart des sociétés est basée sur le fait qu’elles garantissent les intérêts individuels ou sur une crainte des conséquences liées à leur violation. Cependant, lorsque les circonstances et intérêts changent, ces lois sont aisément outrepassées. La seule source permettant le respect d’une loi [16] en public et dans l’intimité, et ce quelles que soient les circonstances, est la taqwâ qui elle-même repose sur la croyance que ce monde a un Créateur unique et éternel, qui embrasse de Sa présence et de Sa science le moindre atome du monde, et vers lequel reviendront les hommes pour être jugés selon leurs actes : "Tu ne te trouveras dans aucune situation, tu ne réciteras aucun passage du Coran, vous n’accomplirez aucun acte sans que Nous soyons témoin au moment où vous l’entreprendrez. Il n’échappe à ton seigneur ni le poids d’un atome sur terre ou dans le ciel" (10:61) ou encore : "Quiconque fait un bien fût-ce du poids d’un atome, le verra, et quiconque fait un mal fût-ce du poids d’un atome, le verra" (99:7-8). Une personne qui croit réellement que chacun de ses actes est observé et jugé sera incitée à rechercher la satisfaction de Dieu en toutes circonstances. L’histoire de Yûssof (Joseph) telle que présentée dans le Coran, notamment lorsque celui-ci résiste à l’invitation de Zoleykhâ, est l’un des plus hauts exemples de cet état spirituel de l’âme qu’est la taqwâ et qui, lorsqu’il atteint ses plus hauts degrés, gouverne l’ensemble des autres facultés pour les préserver de tout faux-pas : "Et elle le désira. Et il l’aurait désirée n’eût été ce qu’il vit comme preuve évidente de son Seigneur" (12:24).
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