L’amour de Dieu dans le Coran[8] Dans ce sens, l’amour ne requiert pas forcément l’existence d’une connaissance et d’une conscience de cet amour mais le sens plus général d’attraction existentielle d’une chose vers une autre. Sur cette base, la plante "aime" le soleil selon un sens réel, et non métaphorique. [9] Etant donné que l’amour d’un être pour ses propres perfections s’étend à l’ensemble des actes et effets qu’il produit, Dieu aime donc Sa création qui n’est que le résultat de Son acte créateur et la manifestation de Ses propres perfections. Néanmoins, comme nous le verrons plus bas, cet amour n’est pas pour autant inconditionné. [10] Ce verset reproche aux adorateurs d’idoles d’aimer leurs idoles comme on aime Dieu. Cependant, ce n’est pas cet amour en soi qui est l’objet de ce reproche, mais plutôt les conséquences de cet amour qui impliquent de croire que ces idoles ont un pouvoir indépendant de celui de Dieu pouvant les protéger – et donc à les considérer et à les aimer comme un dieu. [11] De façon générale, ce verset nous dit que l’amour comporte différents degrés et est une réalité susceptible de connaître une plus ou moins grande intensité selon le type d’amour (matériel ou immatériel), notre propre état existentiel… Comme nous l’avons précisé, l’amour est un lien existentiel. Or, sur la base de la philosophie de Mollâ Sadrâ, l’existence constitue la structure même de la réalité et est à la source de toutes les perfections et différents aspects de la réalité. L’existence étant elle-même une réalité modulée (tashkiki) et comportant différents degrés, il en va donc de même pour l’amour qui est l’une de ses manifestations. [12] En guise de précision, lorsque l’on fait une comparaison entre deux choses en qualifiant l’une de "plus" ou de "moins" par rapport à l’autre, il doit exister une même réalité ou une communauté de concept entre les deux choses : dire qu’une chose est "plus sucrée" par rapport à une autre sous-entend que cette seconde chose est également sucrée et que "être sucrée" doit s’entendre dans le même sens. Il en va de même pour le contenu de ce verset qui parle de choses "plus chères" ou "plus aimées" que l’amour de Dieu, et implique donc que l’amour doit s’entendre dans un sens unique, sinon, aucune comparaison ne serait possible. [13] Il ne s’agit bien évidemment pas ici d’une incarnation, mais d’une manifestation, d’un lieu d’apparition (mazhar) des différentes perfections de Dieu. [14] De nombreux autres versets citent ces bienfaits. Nous pouvons également citer ceux-ci, parmi tant d’autres : "Quant à la terre, Il l’a étendue pour les êtres vivants : il s’y trouve des fruits, et aussi les palmiers aux fruits recouverts d’enveloppes, tout comme les grains dans leurs balles, et les plantes aromatiques. Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous ?" (55:10-13). [15] C’est également dans ce sens qu’il faut comprendre ce verset : "Nous n’avons envoyé de Messager que pour qu’il soit obéi, par la permission de Dieu." (4:64). [16] Le tâghût vient du mot toghiân évoquant l’idée de se rebeller, de dépasser les limites. Il est parfois considéré comme faisant référence au diable, aux idoles, aux gouverneurs oppresseurs, et, de façon générale, à tout ce qui est adoré en dehors de Dieu et conduit à enfreindre les principes de la religion. [17] Hâfez, ghazal no. 171, traduction de Charles-Henri de Fouchécour, Le Divân, Hâfez de Chirâz, Verdier, 2006, p. 497. [18] Nâsir al-Din Tûsi a également interprété dans un sens mystique ce hadith du prophète Mohammad : "Les anges n’entrent pas dans une maison où il y a un chien ou une image de chien" (Jâme’ al-Sa’âdat, Vol. 1, p. 46) dans le sens de : "l’ange de la miséricorde divine n’entre pas dans le cœur de l’homme s’il y existe mille images laides et difformes." [19] L’obéissance même à la religion a donc un rôle essentiel dans l’affirmation de la sincérité de l’amour. L’amour lui-même, s’il est véritable, permet de ne rien vouloir d’autre que Dieu et d’agir selon Sa volonté. Il est donc une force permettant d’adorer Dieu non pas en vue d’atteindre un but de ce monde, et même de l’Au-delà , ni pour le Paradis, ni par crainte de l’Enfer, mais seulement pour Lui-même. En d’autres termes, seul l’amour permet véritablement d’atteindre la sincérité dans la religion et l’amour réciproque, ce qui nous fait retourner à ce même verset : "Si vous aimez vraiment Dieu, suivez-moi, Dieu vous aimera" (3:31). On retrouve la même idée dans le verset : "Dis : “Obéissez à Dieu et au Messager." (3:32), qui exprime la proximité de Dieu et du Prophète : l’obéissance à l’un signifie l’obéissance à l’Autre. Il en va de même pour les Imâms selon le chiisme. A ce sujet, voir les articles, "Qu’est ce que le chiisme ?" et "Pourquoi a-t-on besoin d’un Imâm ? La philosophie de l’Imâmat selon les croyances chiites", La Revue de Téhéran, No. 72, novembre 2011. [20] En effet, "le tawhid n’implique pas seulement une connaissance et une reconnaissance de l’existence d’un Dieu unique, mais aussi tout un mode d’être visant à réaliser cette unité en soi", "La notion de tawhid dans le Coran d’après le commentaire Al-Mizân de ’Allâmeh Tabâtabâ’i (I)", La Revue de Téhéran, No. 64, mars 2011. [21] L’amour n’est cependant en général pas une voie recommandée ni recommandable, car il peut être tout aussi bénéfique que dangereux : le transfert de l’amour humain à l’amour divin peut ne pas se réaliser, et l’amour terrestre, qui a pour conséquence un affaiblissement de la raison, peut conduire à bien des agissements funestes… [22] Ce hadith est souvent appelé "Le hadith de la proximité par les actes surérogatoires" (hadith qorb al-nawâfil).
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