LE ROLE DE L'IMAM DANS LE SHIISME



LE ROLE DE L'IMAM DANS LE SHIISME

 

 

INTRODUCTION

Toute société comporte à la fois des idéaux et une concrétisation qui, souvent, ne leur ressemble pas. Les apôtres du christianisme n'avaient sûrement pas prévu les tortures de l'Inquisition, pas plus que les premiers communistes n'avaient imaginé les purges de Staline; les théoriciens du libéralisme n'avaient pas prévu la diffusion de pornographie infantile sur le réseau Internet. Pourtant, dans tous ces cas, ces effets sont si irrésistibles que, tout jugement moral mis à part, il semblent découler «naturellement» du système.

Comme des médicaments, les utopies, lorsqu'elles se réalisent, ont des effets imprévus, qui sont indépendants de l'intention initiale. La découverte de ces effets est toujours un moment de désillusion où les êtres les plus idéalistes se voient condamnés soit à l'impuissance, soit au cynisme.

Entre idéal et réalité, s'établit alors une relation ambigue, l'idéaliste oscillant entre un état de rebellion contre l'état des choses, et un état de ramollissement où, tout en dénonçant la situation, il repousse au loin toute vélléité de révolte, dans les vapeurs d'une idéologie compensatrice, jouant ainsi le jeu du statut quo.

Or, quelle société est davantage concernée par cette relation qu'entretiennent idéaux et réalité que l'Islam, qui est la concrétisation de l'utopie d'un seul homme? Quelques décennies après la mort du Prophète, à quoi ses généreux idéaux avaient-ils donné la vie, sinon à une société conquérante, où une oligarchie arabe vivait richement de l'exploitation de peuples conquis, trahissant de façon éhontée sa volonté et l'esprit de son enseignement? Et si l'État islamique a continué, même après le renversement de la Dynastie ommayade, à ressembler à ce modèle, n'est-ce pas parce que l'idéal coranique le portait en germe, aussi sûrement que deux plus deux font quatre?

Le massacre du petit fils du Prophète à Karbala représente le point fort du schisme entre les idéaux coraniques et leur produit. Il n'est pas étonnant que cet événement soit le thème central et le point de départ du shiisme, ce mouvement qui cristallisera la révolte contre le pouvoir au nom des idéaux coraniques. Au delà de la querelle dynastique dont il origine et de sa dimension ethnique, le shiisme portera toujours en son coeur cet idéal inaccessible de vertu et de justice. Toute son histoire sera une suite de variations sur le thème de l'idéal confronté aux vissicitudes du pouvoir.

LUNE DE MIEL, LUNES DE FIEL

Chef religieux, législateur, homme politique et général militaire, Mahomet a représenté de son vivant une synthèse extrêmement rare dans l'histoire de l'humanité, celle de l'idéal et du pouvoir. En particulier, la courte période qui sépare la conquête de la Mecque et sa mort, est un moment très particulier où ses partisans ont pu goûter à la fois les charmes de la victoire et la liberté que procure la conviction d'avoir le bon droit de son côté.

Cette expérience extraordinaire peut se comparer à celle d'un «grand amour» partagé dans la vie d'une personne. Le plus souvent, la passion amoureuse n'est pas partagée; l'un des deux en souffre quand l'autre en a tout l'avantage, de telle sorte qu'il n'y a pas de plaisir sans culpabilité. Une passion réciproque est un événement improbable, extrêmement rare, et dont les protagonistes se remettent difficilement lorsqu'elle s'étiole, car un tel sommet ne peut se retrouver par la suite. Il en résulte d'une part une idéalisation de cet amour, qui nous voile son véritable visage, et d'autre part, la nostalgie de ce qui n'est plus. Parfois aussi, la passion amoureuse, ne trouvant que cette issue, se change en haine, et la lune de miel se transforme en «lune de fiel [1]». Et, de fait, l'idéalisation, la nostalgie et la haine passionnelle sont les trois points saillants de l'héritage de la «lune de miel» de l'ère Mahomet.

Décuplée par sa dimension religieuse, l'idéalisation du Prophète voile au croyant sa face cachée, celle d'un conquérant efficace, intelligent et rusé, bref, «machiavélique». Les Shiites en particulier se refusent à voir à quel point les qualités de politicien de Mahomet furent déterminantes pour le succès initial de l'Islam.



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