LE ROLE DE L'IMAM DANS LE SHIISME



Mais ce mythe martyrologique comporte deux faces : à la figure de Hoseyn combattant pour la justice, éternel porte-étendard de la révolte contre l'usurpation, répond celle de Hoseyn l'intercesseur, celui qui «par les mérites de son martyr, jouit auprès de Dieu d'une faveur particulière», celui qui par son sacrifice a purifié le peuple, alors que la revanche est rejetée dans un futur incertain.

LA DOCTRINE DE L'IMAMISME

Le shiisme apparut d'abord comme un mouvement politique. Les prétentions déçues des Alides, le martyr du petit fils du Prophète lui-même, et la trahison des idéaux coraniques par le pouvoir califal cristallisèrent les revendications des mécontents, dont les Perses récemment conquis par les armes, réduits au statut de clients dépendants de la protection de familles arabes. Puisque les Mawalis avaient été conquis au nom des idéaux de justice et d'égalité de l'Islam, ils étaient impatients de voir l'application de ces idéaux, et les revendications des Alides leur apparaissaient comme une opportunité en ce sens.

Les revendications shiites s'opposaient à la tradition sunnite à la fois quant à la personne du successeur, qui devait nécessairement être un descendant de Ali, et quant à la nature du pouvoir qu'il devait exercer. La trahison de l'esprit des idéaux coraniques par le califat ommayade, puis par les abbassides, démontrait la nécessité d'un guide pour rétablir la communauté dans le droit chemin. D'ailleurs, un épisode de la Sura shiite raconte que Mahomet aurait lui-même confié ce soin à Ali: «Ali combattra pour le ta‘wil quand ma sunna sera abandonnée, quand le livre de Dieu sera déformé, quand des gens indignes parleront à tort et à travers de la religion. Ali les combattra pour restaurer la véritable religion [7].»

Pour les shiites, le Coran comporte deux sens; le sens exotérique (zâhir), est la partie manifeste, l'enveloppe, et le sens ésotérique (bâtin) est la partie cachée, la vérité profonde. La révélation se caractérise par des données littérales (tanzîl) et une interprétation allégorique ou symbolique (ta‘wil) qui est indispensable à une compréhension du sens profond du message religieux. «Privée de la réalité spirituelle et de l'ésotérisme, la religion positive est opacité et servitude; elle n'est plus qu'un catalogue de dogmes ou un cathéchisme, au lieu de rester ouverte à l'éclosion de significations nouvelles et imprévisibles [8].»

Dans l'ismaélisme, cette opposition est érigée en système de pensée, et les notions de tanzîl et ta‘wil ne concernent plus seulement l'interprétation du texte, mais l'ensemble de la révélation et des rapports entre Dieu et les hommes : «Le tanzil, c'est la descente, voulue et opérée par Dieu, des données communiquées aux prophètes et aux imams, et le ta‘wil la remontée, par le jeu des forces humaines et de l'assistance divine, vers la signification spirituelle profonde de ces données [9].»

Le rôle premier de l'imam est de dégager cette signification profonde, allégorique, du message coranique. Cette capacité de l'imam tient à un savoir secret qui lui a été transmis par son prédécesseur et à la gnose, c'est-à-dire la connaissance d'inspiration divine. Le gnosticisme, d'inspiration persanne, prendra une importance particulière dans l'ismaélisme. Cette connaissance directe de Dieu réduit d'autant l'importance du Coran et de la tradition. Dans certaines tendances de l'ismaélisme, Ali devient même plus important que le Prophète, et l'imam du moment, libéré de toute contrainte de la tradition, devient à toutes fins pratiques une «hypostase divine».

Dans sa communauté, l'imam est le guide et le rassembleur, un chef «impeccable et infaillible». Le concept d'ijma de la tradition sunnite est ici abandonné au profit de l'autorité du guide divinement inspiré : «Au delà des dispositions strictement formelles du Coran, il y a la volonté divine qui les a inspirées. Le prophète ayant disparu, cette volonté doit trouver son expression dans la personne d'un imam, dont l'autorité ne saurait se limiter au pouvoir temporal d'un calife, mais s'étendre à tout le domaine spirituel et au comportement social, ce comportement ne pouvant connaître que les principes de morale définis par l'imam au nom du Prophète [10].»

Enfin, l'Imam est le sauveur, l'intercesseur des hommes auprès de Dieu. Celui qui n'a pas reconnu l'imam de son temps mourra comme un infidèle; au jour du jugement dernier, les douze imans seront présents, auprès de Dieu et de Mahomet, et intercèderont pour leurs partisans respectifs.

En somme, par la seule vertu de sa fonction, l'imam est impeccable et infaillible, il est «le meilleur des hommes», doté de capacités supra-naturelles, intelligence, connaissance et force, il est le dépositaire de la Loi, le facteur d'unité de la communauté. Mais les imams allaient-ils se montrer, dans les faits, à la hauteur du rôle qu'on leur attribuait?



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