LE ROLE DE L'IMAM DANS LE SHIISME



Mais la collaboration du shiisme duodécimain avec le pouvoir politique restait cependant limitée par l'idée que l'Imam caché, étant toujours vivant, demeurait la seule source de légitimité du pouvoir. Pour le Shiite, tout pouvoir politique, quel qu'il soit, ne peut être légitime; en revanche, puisqu'un pouvoir est nécessaire, on s'accommode de celui en place en attendant le retour de l'imam. Sur cette solution de compromis, le clergé shiite s'est établi en Iran une place privilégiée : droit de regard sur le gouvernement, indépendance totale du pouvoir politique, et indépendance financière, grâce à la perception de sa propre taxe. Quand au croyant, il se voit entièrement délié de cette obédience qui lie le sunnite à son souverain : «Ne reconnaissant pour toute autorité sur terre que celle d'un imam dont personne, par définition, ne peut se réclamer de manière contraignante, le croyant shiite est libre vis-à-vis du pouvoir en place. […] L'imam étant par ailleurs supposé vivant, les dogmes juridiques ne sont pas figés sur des positions immuables, mais peuvent recevoir des réponses nouvelles en fonction de situations nouvelles [16].»

En l'absence de l'imam, la constitution d'un clergé s'imposait. Les ulemas, dont le rôle est de répondre aux besoins théologiques sans prendre la place de l'imam, sont choisis en fonction de leurs connaissances exotériques et ésotériques, leurs vertus et leur art de vivre.

En tout cela, le clergé shiite se distingue nettement du clergé sunnite, totalement dépendant politiquement et financièrement du pouvoir politique.

CONCLUSION

Le souvenir de l'Âge d'Or de Médine est demeuré, au coeur de l'Islam, comme une impulsion vers un inaccessible idéal constamment trahi par les événements. Enrichie par les apports des Mawalis perses, et centrée autour des prétentions dynastiques des Alides, cette impulsion s'est traduite par le développement du shiisme.

l'idéalisme shiite s'est incarnée d'une part dans l'action politique. Les révoltes se sont presque toutes soldées par des défaites militaires ou des trahisons. Mais l'échec du Califat fatimide à réaliser les idéaux du shiisme fut infiniment plus tragique, car on ne pouvait ni l'imputer à un ennemi extérieur, ni invoquer un éventuel «retour du Mahdi» à venir. Il en a résulté l'éclatement du shiisme militant en factions qui ont dû se limiter à des actions de harcèlement.

D'un autre côté, le shiisme s'est éloigné de l'action politique en mettant l'accent sur la pureté de l'idéal – le report de sa réalisation dans un avenir indéfini, incarné par le retour du Mahdi – et le culte de martyrs tels Hoseyn, dont le mythe a certainement exagéré la naïveté. Paradoxalement, si on les compare avec ceux de la branche révolutionnaire, les résultats du shiisme duodécimain semblent appréciables : une certaine domestication du pouvoir, une grande indépendance du clergé, et la survie, à long terme, de l'idéalisme shiite.

Bien sûr, le shiisme duodécimain a beaucoup été dénoncé pour ses compromissions et son esprit de collaboration avec le pouvoir. Mais sans se pencher outre mesure sur la nature et la signification d'événements qui dépassent largement le cadre de cette recherche, il faut pourtant admettre que les Islamistes se sont largement appuyés sur ses acquis pour prendre le pouvoir en 1979.

NOTES

1 Lunes de fiel est le titre d'un roman de l'écrivain français Pascal Buckner, qui illustre fort bien ce propos. BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages cités :

- DJALILI, Mohammad-Reza, Religion et Révolution – L'Islam shiite et l'État, Économica, Paris, 1981.
- KEDDIE, Nikki R., «Shi‘ism and Revolution» in Religion, Rebellion, Revolution, ed. by Bruce Lincoln, MacMillan, Houndmills, Basinstoke, Hampshire (G.B.), 1985.
- LAOUST, Henri, Les shismes dans l'Islam, Payot, Paris, 1965.
- LEWIS, Bernard, Les Arabes dans l'histoire, coll. «Histoires», Aubier, 1993.
- PERILLIER, Louis, Les Chiites, coll. «Courants universels», Publisud, Paris, 1985.
- RICHARD, Yann, L'Islam chiite, coll. «Croyances et idéologies», Fayard, 1991.

 



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