Ali (as) le quatrième calife



Le Défi de Mu`âwiyeh à l'Autorité de Ali

Lorsque Sahl retourna à Médine, Ali demanda à Talhah et Zubayr de rendre compte de l'étendue de la division des partis, division contre laquelle il les avait mis en garde. Ils répondirent que s'ils étaient autorisés de sortir de Médine, ils accepteraient d'être comptables de la perpétuation des troubles. Ali leur dit que la sédition est comme le feu, plus il brûle, plus il s'intensifie et brille, et que toutefois, il le supporterait aussi longtemps que possible, mais que s'il devenait insupportable il essaierait de l'éteindre. Il se résolut tout d'abord à écrire une lettre à Mu`âwiyeh et à Abû Mûsâ pour leur demander de présenter leur allégeance. Abû Musa lui répondit que lui et les Ktifites, à quelques exceptions près, étaient entièrement à sa disposition, mais de la part de Mu`âwiyeh aucune réponse n'était parvenue bien que plusieurs semaines se fussent écoulées. En fait, Mu`âwiyeh avait retenu le messager de Ali pour être témoin de l'état d'esprit de ses armées qui réclamaient à grands cris et impatiemment "vengeons le sang dé Othmân" et qui, étant soumises au gouverneur de Syrie, n'attendaient qu'un mot de lui pour marcher contre tous ceux qu'elles croyaient être responsables de l'assassinat du précédent Calife. Après plusieurs semaines, Mu`âwiyeh autorisa le messager à retourner à Médine, en compagnie de son propre messager, porteur d'une lettre, sur l'enveloppe de laquelle il y avait la mention : "de Mu`âwiyeh, dès son arrivée à Médine, le messager de ce dernier accrocha la lettre en haut d'un bâton de sorte que tout le monde puisse la lire dans les rues. Etant ainsi prévenus de la désaffection de Mu`âwiyeh pour Ali, les gens s'assemblèrent en foule, soucieux de connaître le contenu du message. C'était juste trois mois après l'assassinat de Othmân que le message fut présenté à Ali, lequel en lut l'adresse et, enlevant le cachet, il découvrit que l'intérieur était tout blanc, ce qu'il considéra à juste titre comme un signe d'extrême confiance. Etonné par l'effronterie dédaigneuse de Mu`âwiyeh, il demanda au messager d'en expliquer l'énigme. Le messager, ayant obtenu l'assurance qu'il aurait la vie sauve, répondit : "Sache donc que j'ai laissé derrière moi en Syrie soixante mille guerriers pleurant le meurtre de Othmân sous sa chemise tachée de sang, exposée à côté de la chaire de la grande Mosquée de Damas, tenant tous à se venger de toi pour l'assassinat du Calife". (Selon Major Price, la réponse du messager à Ali fut la suivante : "Cinquante mille hommes sont rassemblés autour des vêtements de Othmân. Leurs joues et leurs barbes n'ont jamais cessé d'être mouillées par leurs larmes, et leurs yeux n'ont jamais cessé de verser des larmes de sang depuis l'heure de ce meurtre atroce. Ils ont dégainé leurs sabres en faisant le serment solennel de ne jamais les rengainer ni de ne cesser de se lamenter avant d'avoir exterminé tous ceux qui ont été impliqués dans cette détestable affaire. Ils ont transmis ce sentiment à leurs descendants, comme un legs solennel, et le tout premier principe que les mères inculquent à leurs enfants est celui de venger jusqu'au bout le sang de Othmân". Cet insolent exposé suscita la colère des compagnons du Calife, à tel point que sans l'intervention de Ali, ils auraient commis des actes ayant des conséquences incalculables. Il est difficile d'imaginer à quel point cette magnanimité de la part de Ali eut un effet magique sur le messager de Mu`âwiyeh qui se déclara alors convaincu de son erreur et jura qu'il ne se séparerait plus jamais volontairement de Ali, ni ne reconnaîtrait l'autorité d'aucun autre souverain à son détriment").

"De moi ! S’étonna Ali. Je fais de Dieu le témoin de mon innocence dans cette affaire. Ô mon Dieu ! J'implore Ta protection contre cette fausse accusation". Puis, Ali déclara que seule l'épée pourrait arbitrer entre Mu`âwiyeh et lui-même, et se tournant vers Ziyâd Ibn Handhalah, qui était assis à côté de lui, il ordonna qu'une expédition contre la Syrie soit proclamée, ordre que Ziyâd communiqua rapidement aux gens.

Le Départ de Talhah et de Zubayr

Talhah et Zubayr, dont le désir de quitter Médine avait été deux fois contrecarré, et qui voyaient à présent comment les événements tournaient, devinrent soucieux d'avoir leur liberté d'action et de mouvement, liberté dont ils ne pouvaient jouir tant qu'ils restaient à Médine. Encore une fois ils vinrent voir Ali et lui demandèrent de les laisser partir pour la Mecque sous prétexte d'accomplir le Pèlerinage Mineur. Ali, qui avait compris leur véritable motivation, leur rappela leur déclaration faite librement lors de leur prestation de serment d'allégeance le jour de l'inauguration de son Califat, et les laissa partir en leur disant qu'il s'attendait à des choses étranges de leur part, et que pour cette raison il insistait pour qu'ils mettent sous serment leur sincérité.

Ali commença la préparation de l'expédition vers la Syrie, en faisant appel à l'assistance de toutes les provinces tout en recrutant à Médine même. Mais avant d'engager le combat contre Mu`âwiyeh, il eut à faire face à une autre rébellion sérieuse, décrite en détail ci-après.

Le Plan de Rébellion de `Âyechah

`Âyechah rencontra, sur son chemin de retour de la Mecque, Ibn Om Kalab, à Sarif. Celui-ci l'informa du meurtre de Othmân et de l'accession de Ali au Califat. En apprenant ces nouvelles, elle se mit à crier : "Ramenez-moi à la Mecque" et de répéter : "Par Dieu ! Othmân était innocent, je vengerai son sang !" Elle fut ramenée sur-le-champ à la Mecque avec sa complice Hafçah, et elle commença à y propager la sédition. Dans ses "Annals of the Early Caliphate" (pp. 35l-352), Sir W. Muir fait la relation suivante de ce que fit `Âyechah concernant cet incident : "Pendant le début de la période troublée de Othmân, `Âyechah, dit-on, contribua à l'exaspération du mécontentement du peuple à son égard. Il est dit qu'elle était la complice des conspirateurs, parmi lesquels figurait son frère, Mohammad Fils d'Abû Bakr, comme un des principaux chefs. Quand elle apprit la nouvelle de son assassinat, sur son chemin du retour de la Mecque, elle déclara qu'elle vengerait la mort de Othmân. "Quoi ! s'écria son informateur, étonné par son zèle. Maintenant tu dis cela, alors que pas plus tard qu'hier tu incitais à le supprimer en tant qu'apostat ?" "Oui ! Lui répondit-elle. Car, bien qu'il se soit repenti de ce dont les rebelles l'accusaient, ils l'ont tué". En réponse, son informateur récita des vers tendant à dire : "Tu étais la première à fomenter le mécontentement. Tu nous commandais de tuer le prince pour son apostasie, et maintenant, etc...  En tout état de cause, on doit admettre que `Âyechah était une femme jalouse, violente et intrigante, caractère qui explique pour beaucoup ce qui paraîtrait bizarre autrement." En réalité, `Âyechah espérait que soit Talhah soit Zubayr succéderait à Othmân, mais à présent ayant appris, contrairement à son espérance, l'élection de Ali qu'elle détestait, elle était extrêmement perturbée dans son esprit et se résolut à adopter une attitude d'hostilité ouverte. Se déclarant vengeresse du sang de Othmân, elle persuada le grand et puissant clan des Omayyades, auquel appartenait Othmân, de se joindre à sa cause. Les Omayyades qui résidaient encore à la Mecque et ceux qui s'étaient enfuis de Médine lors de l'accession de Ali au Califat se rassemblèrent avec empressement sous son drapeau. Les gouverneurs déposés de plusieurs provinces, entraînant avec eux facilement un grand nombre de mécontents, firent, eux aussi, les uns après les autres, cause commune avec elle. Ya`lâ, l'ex-gouverneur du Yémen lui fournit un moyen précieux de mener puissamment une guerre, en mettant à sa disposition le trésor qu'il avait emporté avec lui du Yémen.

Talhah et Zubayr Rejoignent `Âyechah dans sa Rébellion

C'était environ quatre mois après le meurtre de Othmân que Talhah et Zubayr arrivèrent à la Mecque et trouvèrent que les choses avaient bien progressé. Ils avaient des liens de parenté avec `Âyechah dont la sœur cadette était une épouse de Talhah (qui était également un cousin de son père Abû Bakr) et la sœur aînée une épouse de Zubayr dont le fils, `Abdullah, avait été adopté par `Âyechah. Malgré leur serment d'allégeance à Ali- serment dont ils disaient maintenant qu'il avait été pris sous la contrainte et qu'il était donc nul d'après eux ils exprimèrent leur désir d'épouser la cause de `Âyechah, cause qui, en cas de succès, servirait sûrement leurs intérêts. Par conséquent, ils la rejoignirent et commencèrent à travailler contre Ali, déclarant aux factions de la Mecque que les affaires de Alise trouvaient dans des conditions bien troubles. " `Âyechah, Talhah et Zubayr, qui avaient été toujours des ennemis de Othmân et qui s'étaient affirmés, en fait, comme les organisateurs de sa mort et de sa destruction, lorsqu'ils virent Ali, qu'ils détestaient autant sinon plus que Othmân, investi de la fonction de Calife, se servirent des amis réels et sincères de Othmân comme d'un instrument de leurs complots contre le nouveau Calife. Ainsi c'est pour des motifs très divers qu'ils se rassemblèrent tous sous le slogan de la vengeance du sang de Othmân" (Simon Ockley's His. Sar., p. 294).

L'étendard de la rébellion fut hissé et le discours de ces personnages distingués était écouté avec un vif intérêt par les revanchards et factieux Arabes dont les pères et frères avaient été tués par Ali lorsqu'il défendait le Prophète et sa cause dans les différentes batailles qui avaient opposé l'Islam naissant aux Quraych païens à l'époque du Prophète. Beaucoup d'Arabes mécontents s'assemblèrent sous l'étendard de la révolte. Le trésor détourné par Ibn `Âmir, le gouverneur déposé de Basrah, fut utilisé par Talhah et Zubayr pour équiper leurs forces armées.

Le Conseil de Guerre

Les préparatifs de la guerre ayant été achevés, les dirigeants de la rébellion tinrent un conseil pour discuter du lieu où les opérations pourraient être menées avec succès. `Âyechah proposa de marcher sur Médine et d'attaquer Alidans sa capitale pour frapper à la racine, mais on lui objecta que le peuple de Médine était unanimement acquis à Ali et qu'il était trop puissant pour être défait. Quelqu'un suggéra de se diriger vers la Syrie et de mener une attaque conjointe avec les insurgés de cette province, mais Walîd Ibn `Oqbah s'opposa fermement à cette suggestion, déclarant que Mu`âwiyeh n'approuverait pas la présence de ses supérieurs dans sa capitale, et encore moins le contr6le de ses armées par eux dans ces moments critiques, et que de plus il considérerait cela comme une ingérence dans son dessein d'accéder à l'indépendance, dessein qui l'avait en fait conduit à ne pas envoyer le secours demandé de lui en sa qualité de principal vassal de Othmân dont les jours qui lui restait à vivre étaient alors pourtant comptés. A la fin, Talhah leur ayant affirmé qu'il avait un parti fort en sa faveur à Basrah, et qu'il était sûr de la reddition de cette ville, on se résolut à faire mouvement vers celle-ci. Par conséquent une proclamation par battement de tambour fut faite à travers les rues de la Mecque, annonçant que `Âyechah, "la Mère des Croyants", accompagnée des dirigeants distingués, Talhah et Zubayr, se dirigeait personnellement vers Basrah, que tous ceux qui désiraient venger l'atroce mort du "Prince des Croyants", c'est-à-dire Othmân, et servir la cause de la foi, devaient se oindre à elle, même s'ils étaient sans équipement, car celui-ci leur serait fourni dès qu'ils se présenteraient.

`Âyechah Incite Om Salma

`Âyechah demanda à Om Salma - une autre "Mère des Croyants" - qui se trouvait à la Mecque pour le Pèlerinage, de l'accompagner dans son aventure, mais elle repoussa avec indignation cette demande, et demanda à `Âyechah comment elle pouvait justifier sa violation des Commandements du Prophète en s'opposant à Ali qui était lui aussi Calife dûment et unanimement élu par le peuple de Médine et reconnu par les peuples de plusieurs provinces. Et récitant cette parole du Prophète : "Ali est mon lieutenant aussi bien de mon vivant qu'après ma mort. Quiconque lui désobéit, me désobéit du même coup", elle demanda à `Âyechah si elle avait oui ou non entendu le Prophète prononcer cette parole. Elle répondit par l'affirmative. Puis Om Salma lui rappela la Prédiction du Prophète, qu'il avait exprimée à l'adresse de ses femmes : "Peu après ma mort, les chiens de Hawab aboieront contre l'une de mes épouses qui sera parmi la bande rebelle. Oh ! J'ai su qui elle était ! Gare à toi, Ô Homayra ! Je crains que ce ne soit toi". En entendant ces démonstrations de la vérité, `Âyechah fut alarmée. Continuant son avertissement, Om Salma dit : "Ne te laisse pas égarer par Talhah et Zubayr. Ils vont t'empêtrer dans l'erreur, mais ils ne seront pas capables de te sortir du courroux ni de la disgrâce qui te frapperont". `Âyechah retourna à son logis presque encline à renoncer à son plan, mais les adjurations de son fils adoptif, `Abdullah Fils de Zubayr, persuadèrent sa nature vindicative de se venger de l'homme qui s'était associé un jour au Prophète en la suspectant de la fausse accusation dont elle avait fait l'objet " `Âyechah, faisant fi des contraintes de son sexe, se prépara à partir en campagne et à ameuter le peuple de Basrah comme elle venait de le faire avec celui de la Mecque. Hafçah, la fille de `Omar, une autre "Mère des Croyants", fut empêchée par son frère (qui venait de s'enfuir de Médine et de se mettre à l'écart de toutes les parties) d'accompagner sa soeur; de veuvage" (Muir's Annals, p. 353).

La Marche de `Âyechah sur Basrah

A la fin, `Âyechah monta dans une litière sur le chameau al-`Askar, et quitta la Mecque à la tête de mille volontaires dont six cents montaient des chameaux quatre cents des chevaux. Elle était accompagnée de Talhah à sa droite et Zubayr à sa gauche. Sur son chemin, beaucoup de gens se joignirent à elle, gonflant le nombre de ses combattants à trois mille hommes. Moghîrah Ibn Cho`bah, l'ex-gouverneur de Basrah et de Kdfa, qui avait présidé à ces deux gouvernements à l'époque du Calife `Omar, et Sa`îd, l'un des vétérans de la Mecque, et un Mohâjir de la première Emigration, qui accompagnaient eux aussi la chevauchée, ayant des soupçons sur les vraies motivations de Talhah et Zubayr, demandèrent à ceux-ci qui serait Calife en cas de victoire. "Celui d'entre nous deux qui sera choisi par le peuple" fut leur réponse tout faite. "Et pourquoi pas un fils de Othmân ?" demanda Sa`îd. "Parce que les plus âgés étant des chefs distingués et des Muhâjidn, ne doivent pas être commandés", répondirent-ils. "Mais je crois, dit Sa`îd, que si l'objet de votre campagne est de venger la mort de Othmân son successeur de droit doit être son propre fils. Or deux de ses fils, Obân et Walid, sont déjà dans votre camp. Votre nomination signifierait que, sous le prétexte de vouloir venger le Calife assassiné, vous avez combattu dans votre propre intérêt". "En tout cas, répliquèrent-ils, il appartiendra aux hommes de Médine de choisir quiconque ils voudront". Moghîrah et Sa`îd, se méfiant des dirigeants de la rébellion, décidèrent de se retirer, et en conséquence ils tournèrent leurs talons vers la Mecque avec leurs partisans qui formaient une partie de l'armée rebelle. Se tournant vers les troupes, alors qu'ils passaient près d'elles, ils s'écrièrent : "Tuez les assassins de Othmân, détruisez-les tous sans exception". Moghîrah cria à l'adresse de Marwân et d'autres : "Où allez-vous traquer les meurtriers ? Ils sont devant vos yeux sur les bosses de leurs chameaux (en pointant son doigt vers Talhah, Zubayr et `Âyechah). Tuez-les et retournez chez vous. Ils sont l'objet même de votre vengeance. Ils ont trempé autant que tout autre dans cette sale affaire". L'armée continua toutefois sa marche, tout en reprenant à son compte, et à cor et à cri ce qu'elle venait d'entendre. On argua à son intention que la question de la succession était prématurée, et `Âyechah déclara que le choix d'un successeur était le droit exclusif des Médinois et qu'il devait rester le leur comme auparavant. Et pour éviter toute inquiétude supplémentaire, elle ordonna à `Abdullâh, le fils de Zubayr, de conduire les prières quotidiennes.



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