Ali (as) le quatrième calife



Aussitôt que Mohammad Ibn Abî Bakr et `Abdullâh Ibn Ja`far retournèrent à Médine et rapportèrent ce qu'Abû Mûsâ avait dit, le Calife dépêcha Ibn `Abbâs et Mâlik al-Achtar à Kûfa où ils délivrèrent le message du Calife demandant l'assis- tance des Kûfites. Mais au lieu d'encourager ces derniers à répondre à l'appel du Calife, Abû Mûsâ leur dit : "Frères ! Les Compagnons du Prophète sont plus savants que les Non-Compagnons à propos de Dieu et de Son Prophète. Le désaccord est parmi les Compagnons qui savent mieux à qui il faut faire confiance. Vous ne devez donc pas vous mêler de leurs affaires, car le Prophète a dit une fois : "Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux (pour le Musulman) être couché que réveillé, réveillé qu'assis, assis que debout, debout qu'en marche, en marche que sur une monture". Rengainez donc vos épées, cassez vos arcs et déposez vos lances. Gardez tranquillement vos maisons et accueillez-y avec hospitalité les blessés jusqu'à ce que les troubles cessent. Laissez les Compagnons du Prophète se mettre tous d'accord entre eux. Vous n'avez besoin de faire la guerre contre aucun d'entre eux. Que ceux qui sont venus vous voir de Médine, retournent d'où ils sont venus".

 Abû Mûsâ Al-Ach`arî démis de ses Fonctions de Gouverneur de Kûfa

 Lorsque Ibn `Abbâs et Mâlik al-Achtar retournèrent à Médine et rapportèrent au Calife ce qu'avait fait Abû Mûsâ al- Ach`arî, il envoya son fils, al-Hassan, accompagné de `Ammâr Ibn Yâcir qui avait été pendant un temps gouverneur de Kûfa durant le règne du Calife `Omar, et qui avait été très maltraité par la suite par le Calife Othmân pour ses remarques franches. Mâlik al-Achtar (un homme d'initiative et de détermination, qui exerçait une grande influence sur les Kûfites) et qui avait été irrité par les équivoques d'Abû Mûsâ lors de sa précédentes mission, suivit al-Hassan dans son voyage, en compagnie de Qardhah Ibn Ka`b al-Ançârî qui venait d'être nommé gouverneur de Kûfa en remplacement d'Abû Mûsâ al-Ach`arî. Abû Mûsâ les reçut tout à fait respectueusement, mais lorsqu'on demanda aux Kûfites, rassemblés dans la mosquée, leur participation à l'expédition contre les insurgés, conformément au message du Calife, il s'y opposa aussi vigoureusement qu'il l'avait fait auparavant, invoquant le même hadith, cité dans le précédent paragraphe, à savoir : "Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux être couché que réveillé, etc". `Ammâr Ibn Yâcir, le vénérable Compagnon favori du Prophète, âgé alors d'environ quatre-vingt dix ans, un soldat austère et vétéran, et à présent général de Cavalerie dans l'armée de Ali, ayant entendu le discours malicieux d'Abû Mûsâ, lui répliqua vivement qu'il avait fait un mauvais usage de la parole du Prophète, laquelle visait à réprimander des hommes de l'espèce d'Abû Mûsâ lui-même, qu'il valait mieux qu'ils restent couchés que réveillés, assis que debout, etc... Cependant, Abû Mûsâ persistait à décourager les gens de répondre aux propositions des envoyés de Ali. Un tumulte s'éleva lorsque Zayd Ibn Sihân intervint pour lire une lettre de `Âyechah lui commandant soit de rester neutre soit de la rejoindre. Après avoir fait la lecture de cette lettre, il en sortit une autre adressée au grand public de Kûfa, leur demandant de faire de même. Après la lecture de ces deux lettres, il fit remarquer : "Le Coran et le Prophète commandent qu'elle (`Âyechah) reste tranquille chez elle, et que nous combattions jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sédition. Elle nous ordonne donc de jouer son rôle alors qu'elle a pris le n6tre pour elle". D’aucun parmi l'assistance reprocha à Zayd sa remarque contre la Mère des Croyants. Abû Mûsâ reprit son discours pour poursuivre son opposition au Calife, ce qui conduisit certains parmi les auditeurs à lui reprocher son infidélité et sa déloyauté et à l'obliger à quitter la chaire qui fut ensuite occupée par al-Hssan Ibn Ali.

Abû Mûsâ dut quitter non seulement la chaire, mais aussi le mosquée tout de suite, quelques soldats de la garnison stationnée au palais du gouverneur étant venus se plaindre d'avoir été battus sévèrement avec des bâtons. Il est à noter que le débat se déroulait à la mosquée, Mâlik al-Achtar avait pris avec lui un groupe de ses partisans et s'était emparé par surprise du palais du gouverneur, et les hommes de la garnison avaient été bruyamment battus et envoyés à la mosquée pour interrompre le débat. Cette prompte action eut l'effet escompté. En outre elle rendit l'impassibilité froide de la conduite d'Abû Mûsâ tellement ridicule et méprisable que les sentiments du peuple se retournèrent immédiatement contre lui. Lorsqu'il sortit de la mosquée, il se rendit hâtivement à son palais où Mâlik lui ordonna de vider les lieux immédiatement. La foule assemblée à l'entrée était prête à piller ses biens, mais Mâlik intervint et impartit à Abû Mûsâ un délai de vingt-quatre heures pour qu'il emportât ses effets.

Al-Hassan Ibn Ali Réussit une Levée de Neuf Mille Kûfites

Du haut de sa chaire, al-Hassan adressa avec éloquence à l'assemblée un discours dans lequel "Il confirma l'innocence de son père en ce qui concerne l'assassinat de Othmân. Il dit que son père, soit avait tort, soit subissait une injustice. S'il avait tort, Dieu l'en punirait et s'il subissait une injustice, IL lui viendrait en aide. L'affaire était donc entre les Mains du Très-Haut. Talhah et Zubayr qui avaient été les premiers à inaugurer son Califat, avaient été aussi les premiers à se retourner contre lui. Qu'avait-il donc fait, en tant que Calife, pour mériter cette opposition ? Quelle injustice avait-il commise ? Quelle avidité ou quel égoïsme avait-il manifestés" (W. Irving's Succ. of Mohd., p. l77). L'éloquence d'al-Hassan eut un pouvoir réel sur l'assistance. Les chefs des tribus se dirent les uns aux autres qu'ils avaient tendu leurs mains en guise d'allégeance à Ali, et que ce dernier leur avait fait honneur en leur demandant d'être les arbitres dans une si importante affaire. Ils regrettèrent de n'avoir pas tenu compte des précédents messagers du Calife, ce qui avait conduit ce dernier à députer son fils pour demander leur assistance. Ils conclurent finalement qu'ils devaient obéir à leur Calife et répondre à une demande si raisonnable. Al-Hassan leur dit qu'il allait retourner auprès de son père et que ceux qui se croyaient prêts à l'accompagner devaient le faire, alors que les autres pouvaient le suivre par voie de terre ou par bateaux. Ainsi neuf mille Kûfites rejoignirent Ali par terre et par bateaux. En leur souhaitant la bienvenue, Ali leur dit : "Je vous ai fait venir ici pour être témoins entre nous et nos frères de Basrah. S'ils acceptent de se soumettre pacifiquement, c'est tout ce que nous désirons, mais s'ils persistent dans leur révolte, nous les amènerons à la réconciliation gentiment, à moins qu'ils ne se mettent à nous offenser. Pour notre part, nous ne négligerons rien qui puisse, d'une façon ou d'une autre, contribuer à un arrangement que nous devons préférer à la désolation de la guerre" (S. Ockley's His. Sar. p. 305). L'armée du Calife, ayant reçu des renforts de diverses régions, devint forte d'environ vingt mille hommes qui s'avancèrent vers Basrah. Pendant qu'il était stationné avec son année à Thî-Qâr, Ali avait écrit des lettres à `Âyechah, Talhah et Zubayr pour les mettre en garde contre les démarches déraisonnables qu'ils avaient entreprises, et pour leur dire qu'aucun d'entre eux ne pouvait prétendre être le vengeur du sang de Othmân, ce dernier étant un Omayyade, alors qu'aucun d'eux n'appartenait aux Banî `Omayyah. `Âyechah avait répondu que les choses étaient arrivées à un point où les avertissements n'avaient plus aucune utilité, alors que Talhah et Zubayr ne donnèrent pas de réponse écrite, se contentant de faire parvenir à Ali un mot pour l'informer qu'ils n'étaient pas disposés à obéir à ses ordres et qu'il avait toute la liberté de faire ce qu'il voulait.

L'Arrivée de Ali à Basrah

L'armée de `Âyechah comptait trente mille hommes dont la plupart étaient de nouvelles recrues, alors que celle de Alise composait principalement de vétérans, d'hommes ayant déjà servi dans les forces armées, et de Compagnons du Prophète. Lorsque Ali apparut avec ses forces armées déployées en un imposant ordre de bataille devant Basrah, `Âyechah et ses confédérés furent frappés de terreur. Une fois proche de Basrah, Alienvoya Qa`qâ` Ibn `Amr, un Compagnon du Prophète, aux dirigeants des rebelles en vue de négocier avec eux un plan de paix, si possible. `Âyechah répondit que Ali devait négocier personnellement avec eux. Lorsque Ali arriva, des messages circulèrent dans les rangs des forces hostiles en vue de compromettre la négociation. On voyait Ali, Talhah et Zubayr tenir de longues conversations, faisant le va-et-vient ensemble à la vue des deux armées, et les négociations paraissaient tellement dans la bonne voie que tout le monde pensa qu'on allait aboutir sûrement à un arrangement pacifique; car par son impressionnante éloquence, Ali toucha les cœurs de Talhah et de Zubayr en les mettant en garde contre le jugement du Ciel et en les défiant à une ordalie où l'on invoquerait la malédiction divine contre ceux qui avaient encouragé et suggéré le meurtre de Othmân et incité les malfaiteurs à le commettre. Au cours de l'un de leurs entretiens, Ali demanda à Zubayr : "As-tu oublié le jour où le Messager de Dieu t'avait demandé si tu n'aimais pas son cher "fils" Ali et où tu lui as répondu : "Si". Ne te rappelles-tu pas cette prédiction du Prophète : "Cependant, il arrivera un jour où tu te soulèveras contre lui et où tu apporteras des misères à lui et à tous les Musulmans". Zubayr répondit qu'il s'en souvenait parfaitement, qu'il se sentait désolé, que s'il s'en était souvenu auparavant, il n'aurait jamais porté les armes contre lui. Zubayr semblait donc déterminé à ne pas se battre contre Ali. Il retourna à son camp et informa `Âyechah de ce qui s'était passé entre lui et Ali. "On dit qu'à la suite de cette allusion à la prédiction du Prophète, Zubayr renonça à combattre contre Ali, mais malgré ladite prédiction prophétique, `Âyechah était si pleine de haine contre Ali qu'elle ne pouvait accepter aucun arrangement, à n'importe quelle condition. D'autres disent que c'est le fils de Zubayr, `Abdullâh (adopté par `Âyechah) qui l'avait fait changer d'avis en lui demandant si c'était la peur des troupes de Ali qui l'avait conduit à cette volte-face. A ceci Zubayr répondit "Non mais le serment prêté à Ali". `Abdullah lui suggéra alors d'expier son serment en libérant un esclave, ce qui l'amena à se préparer sans plus d'hésitation à combattre contre Ali" (S. Ockley's His. Sar., p. 307).

Les deux armées étaient face à face sur le même champ de bataille. Durant la nuit chaque partie chargea l'autre, les deux parties s'accusant mutuellement d'avoir ouvert les hostilités. Le lecteur pourra lui-même déduire quelle est la partie à blâmer pour cette attaque nocturne, quelle partie essayait d'arriver à un arrangement pacifique pour éviter l'effusion de sang et laquelle mettait en échec ces tentatives de paix. Les circonstances relatées ci-dessus sont assez claires pour éclairer et indiquer la vérité.

La Bataille d'Al-Jamal (du Chameau)

Le lendemain matin, t6t, le vendredi l6 Jamâdî II de l'an 36 A.H. (Nov. 656 A.J.C.), `Âyechah entra dans le champ de bataille, assise dans une litière sur son grand chameau, al-`Askar. Elle fit l'inspection de ses troupes, qu'elle animait par sa présence et par sa voix. Dans l'histoire, cette bataille fut appelée "La Bataille du Chameau", en raison de la présence de la bête étrange sur laquelle était montée `Âyechah, et ce, bien qu'elle fût livrée à Khoraybah, près de Basrah. L'armée de Ali faisait face à l'ennemi en ordre de bataille, mais le Calife avait ordonné à ses combattants de ne charger que si l'ennemi les attaquait le premier. En outre, il leur donna l'ordre strict de ne jamais achever un blessé, de ne jamais poursuivre un fuyard, de ne pas s'emparer de butin et de ne jamais violer une maison. Et alors qu'une pluie de flèches lancées par l'ennemi tombait sur les troupes de Ali, celui-ci ordonna à ses soldats de ne pas répondre au tir et d'attendre. "Jusqu'au dernier moment Ali fit preuve d'une répugnance implacable à l'effusion du sang de Musulmans, et juste avant la bataille il s'efforçait encore d'obtenir l'allégeance de l'adversaire par un appel solennel au Coran. Une personne, nommée Muslim, s'avança alors immédiatement, levant un exemplaire du Coran dans sa main droite. Muslim se mit à fustiger l'ennemi pour l'amener à renoncer à ses desseins injustifiés. Mais la main qui portait le Livre Sacré fut coupée par un soldat de l'armée ennemie. Il porta alors le Coran dans sa main gauche, mais celle-ci fut à son tour coupée par un autre cimeterre. L'homme ne fut pas pour autant découragé, et il serra le Coran contre sa poitrine avec ses bras mutilés, continuant ses exhortations jusqu'à ce qu'il fût achevé par les sabres de l'ennemi. Son corps fut par la suite récupéré par ses amis et des prières furent faites sur lui par Ali lui-même. Le Calife ramassa ensuite une poignée de sable, la lança en direction des insurgés, invoquant contre eux la vengeance de Dieu. En même temps, l'impétuosité des hommes de Aline pouvait être retenue plus longtemps. Tirant leurs sabres et pointant leurs lances, ils se lancèrent vaillamment dans le combat qui fut livré de tous c6tés avec une férocité et une animosité extraordinaires" (Price's Mohd. His., cité par S. Ockley, p. 308).

Le Sort de Talhah

Alors que la bataille faisait rage et que la victoire commençait à pencher du c6té de Ali, Marwân Ibn al-Hakm (le Secrétaire Particulier du précédent Calife, Othmân), l'un des officiers de l'armée de `Âyechah, remarqua que Talhah incitait ses troupes à se battre vaillamment. "Voyez ce traître ! dit-il à son serviteur. Tout récemment encore, il était l'un des assassins du vieux Calife. Et le voilà qui prétend être le vengeur de son sang. Quelle plaisanterie !" Ce disant, il tira dans un accès de haine et de furie une flèche qui perça sa jambe droite et la traversa pour toucher son cheval qui se cabra et jeta le cavalier par terre. En ce moment d'angoisse, Talhah s'écria : "Ô mon Dieu ! Venge Othmân sur moi selon Ta Volonté", avant d'appeler au secours. Constatant que ses chaussures ruisselaient de sang, il demanda à l'un de ses hommes de le ramasser, du faire monter sur son cheval, derrière lui, et de le convoyer à Basrah. Et sentant sa fin proche, il appela l'un des hommes de Ali qui se trouvait là par hasard : "Donne-moi ta main, dit le mourant repentant, afin que j'y pose la mienne en guise de renouvellement de mon serment d'allégeance à Ali". Talhah rendit son dernier soupir en prononçant ces mots de repentir. Lorsque Ali entendit le récit de sa mort, son cœur généreux fut touché, et il dit : "Allah ne voulait pas l'appeler au Ciel avant d'effacer sa première violation de serment par ce dernier serment de fidélité". Le fils de Talhah, Mohammad, fut lui aussi tué dans cette bataille.

Le Sort de Zubayr

Les remords et la componction avaient envahi le cœur de Zubayr après avoir écouté le rappel par Alide la prédiction du Prophète. Il ne fait pas de doute qu'il avait participé à la bataille sur l'instance de `Âyechah et de son fils et à contre coeur. Par la suite, il avait vu `Ammâr Ibn Yâcir, le vénérable et vieux Compagnon du Prophète, connu pour sa probité et son intégrité, être un général dans l'armée de Ali. Il s'était rappelé alors avoir entendu de la bouche du Prophète que `Ammâr serait toujours du côté des partisans de la justice et du bon droit et qu'il tomberait sous les sabres de mauvais rebelles. Tout avait semblé donc être de mauvais augure pour participer à cette bataille. Aussi se retira-t-il du champ de bataille et prit-il le chemin de la Mecque tout seul. Lorsqu'il arriva à la vallée traversée par le ruisseau de Saba, où Ahnaf Ibn Qays avait campé avec une horde d'Arabes dans l'attente de l'issue du combat, il fut reconnu de loin par Ahnaf. "Personne ne peut-il m'apporter des nouvelles de Zubayr ?" dit-il à l'adresse de ses hommes. L'un de ceux-ci, `Amr Ibn Jarmuz, comprit l'insinuation et se mit en route. Zubayr voyant cet homme s'approcher, le soupçonna de mauvaises intentions à son égard. Aussi lui ordonna-t-il de rester à distance. Mais après avoir échangé quelques paroles, ils devinrent amis et tous deux descendirent de leurs chevaux pour faire la Prière, étant donné qu'il en était l'heure. Lorsque Zubayr se prosterna en accomplissant sa Prière, `Amr saisit l'occasion et coupa sa tête avec son cimeterre. Il apporta sa tête à Ali qui pleura à la vue de cette tête. Car il s'agissait de la tête de quelqu'un qui avait été son ami. Se tournant vers l'homme qui lui avait apporté ce cadeau macabre, il s'écria, indigné : "Va-t-en maudit. Apporte tes nouvelles à Ibn Safiyah en enfer". Cette malédiction inattendue enragea le misérable qui s'attendait plutôt à une récompense, et il proféra une bordée d'injures à l'adresse de Ali. Puis, dans un accès de désespoir, il dégaina son sabre et l'enfonça dans son propre cœur.



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