Ali (as) le quatrième calife



`Âyechah dans la Vallée de Hawab

Sur leur route vers Basrah, les rebelles apprirent que Ali, le Calife, était sorti de Médine pour les poursuivre. Pour arriver à Basrah sans interruption et sans obstacle `Âyechah ordonna qu'on changeât de route. Quittant la route principale, ses armées s'engagèrent sur des sentiers en direction de Basrah. Pour dissiper l'ennui des longues nuits de l'automne, le guide passait son temps à chanter et occasionnellement à crier le nom de chaque vallée, désert ou village par lesquels on passait. Arrivé une nuit à un lieu déterminé, il cria : "La vallée de Hawab". Frappée de stupeur par ce nom, un frisson traversa tout le corps de `Âyechah lorsque sur-le-champ les chiens du village entourèrent son chameau et se mirent à aboyer vers elle plus bruyamment. "Quel est cet endroit ?" hurla-t-elle. Le guide répéta sur le même ton habituel : "La Vallée de Hawab". La prédiction du Prophète, récemment remise à sa mémoire par Om Salma, comme on vient de le noter un peu plus haut, s'empara maintenant de son esprit, et elle s'exclama en tremblant : "Innâ Lillâhi wa Innâ Ilayhî râje`ûn" (Nous appartenons à Dieu et nous devons retourner à Lui). Faisant agenouiller son chameau, elle descendit de sa litière et gémit en lâchant un profond soupir : "Hélas ! Hélas ! Je suis en fait la misérable femme de Hawab. Le Prophète m'en avait déjà prévenue". Elle déclara qu'elle ne ferait pas un pas de plus avec cette expédition de malheur. Talhah et Zubayr la pressèrent en vain de poursuivre son voyage, en lui racontant que le guide s'était trompé de nom et que cet endroit ne s'appelait pas Hawab. Ils subornèrent même cinquante témoins pour qu'ils le jurent, mais elle ne les crut pas et refusa d'avancer. On dit que ce fut le premier faux témoignage public survenu depuis l'avènement de l'Islam. Ainsi cette nuit-là, et toute la journée suivante, les rebelles restèrent à Hawab. Talhah et Zubayr étaient déconcertés et ne savaient pas quoi faire. Finalement, recourant à un stratagème intelligent, ils purent mettre l'armée sur pied en criant soudainement : "Vite ! Vite ! Alise approche rapidement pour nous surprendre". Ce disant, ils commencèrent à détaler. `Âyechah, frappée de terreur, tourna tout de suite les talons, trouva son chameau et entra promptement dans sa litière. La marche fut ainsi reprise.

Le Campement de `Âyechah à Khoraybah

Dans sa hâte d'arriver à Basrah l'armée rebelle avança rapidement et, arrivant près de la ville, elle campa à Khoraybah. `Âyechah fit venir un notable de Basrah, Ahnaf Ibn Qays, et lui demanda de rejoindre son étendard. Après quelques discussions sur le sujet, il refusa de prendre les armes contre le Calife. Mais décidé toutefois à rester neutre il quitta Basrah avec six mille partisans et campa à Wâdi-l-Saba, dans les faubourgs de Basrah. `Âyechah envoya un message à Othmân Ibn Honayf, le gouvemeur de Basrah, l'invitant à venir la voir. Ibn Honayf enfila immédiatement son armure et, suivi d'un grand nombre de citoyens, se dirigea vers le campement de `Âyechah. Mais à sa grande surprise, il trouva l'armée des insurgés déployés sur le terrain de manÅ“uvre, suivie par un grand nombre de ses concitoyens factieux qui avaient en même temps rejoint `Âyechah pour se ranger de son c6té. Des pourparlers s'engagèrent : "Talhah et Zubayr s'adressaient alternativement aux foules, et ils furent suivis par `Âyechah qui haranguait les gens du haut de son chameau. Sa voix, qu'elle avait élevé pour se faire entendre par tout le monde, devint stridente et aiguë, au lieu d'être intelligible, ce qui suscita l'hilarité de la foule. Une querelle éclata à propos de la justice de son appel, les différentes parties se mirent à échanger des injures, à se traiter de menteuses et à se lancer l'une contre l'autre de la poussière au visage. L'un des hommes de Basrah se tourna alors vers `Âyechah et lui lança : "Honte à toi, Ô Mère des Croyants !" Et d'ajouter : "L'assassinat du Calife était un crime cruel, mais moins abominable que ton oubli de ta condition et de ton sexe. Pourquoi as-tu abandonné le calme de ta maison et ton voile protecteur pour monter comme un homme imberbe sur ce maudit chameau et fomenter querelles et dissensions parmi les fidèles ?" Un autre homme de la foule s'écria, moqueur, aux visage de Talhah et Zubayr : "Vous avez amené votre mère avec vous. Pourquoi n'avez-vous pas amené vos femmes aussi ?" Des insultes fusèrent de partout, des épées furent tirées, et des escarmouches éclatèrent, et les antagonistes se battirent jusqu'à ce que l'heure de la prière les et lt séparés (W. Inring's Succ. of Mohd., p.l72).

Les entrées de la cité étaient désormais hermétiquement fermées aux insurgés. Quelques jours passèrent, pendant lesquels des escarmouches eurent lieu, causant des pertes sérieuses aux partisans du gouverneur et permettant aux insurgés de s'implanter un peu dans la ville. Finalement une trêve fut conclue, aux termes de laquelle un messager serait envoyé à Médine pour vérifier si Talhah et Zubayr avaient prêté serment d'allégeance à Ali, le jour de l'inauguration de son Califat, volontairement ou sous la contrainte. Dans le premier cas, ils devraient être traités en rebelles, et dans le second, leurs partisans à Basrah auraient raison de soutenir leur cause. Les insurgés, qui désiraient avoir une sérieuse occasion de vaincre le gouverneur et de prendre possession de la ville, acceptèrent cet arrangement pour gagner du temps. Un messager fut ainsi envoyé à Médine. Lorsqu'il délivra sa commission, tout le monde garda le silence. A la fin, Osâmah se leva et dit qu'ils avaient été contraints. Mais cette affirmation lui aurait coûté la vie sans l'intervention de son ami Sohayl, un homme d'influence et d'autorité, qui le prit sous sa protection et l'amena chez lui.

Âyechah s'empare de Basrah

Dans l'intervalle, les dirigeants des insurgés s'efforcèrent d'attirer Ibn Honayf, le gouverneur de Basrah, dans leur campement en lui envoyant des messages amicaux, mais il soupçonna une tricherie derrière ces messages et s'enferma chez lui en se faisant suppléer par `Ammâr dans son poste. Talhah et Zubayr, prenant avec eux une élite de leurs partisans, une nuit de tempête, se mêlèrent à l'assemblée des priants dans la mosquée, surprirent le gouverneur, et après avoir tué quarante hommes de sa garde, ils le firent prisonnier. Le jour suivant, Hâkim Ibn Jabalah essaya de libérer le prisonnier, mais il perdit la vie et celle de soixante-dix partisans dans cette tentative. Une bataille sérieuse fit rage dans la ville, aboutissant à une déconfiture totale et à des pertes considérables parmi les partisans de Ali. `Âyechah entra en grand apparat dans la ville, et le gouvernement de Basrah, ainsi que le Trésor, passèrent aux mains des insurgés.

Peu après la capture de Othmân Ibn Honayf, on demanda à `Âyechah comment elle voulait qu'on disposât de lui. Elle le condamna à mort, mais sur les instances d'une femme de sa suite elle consentit à épargner sa vie. Il fut toutefois condamné à subir des maux encore pires jusqu'à ce qu'il pût échapper à ses ravisseurs. Les poils de sa barbe, ses moustaches et ses sourcils furent arrachés un à un, et il fut honteusement exposé au pilori.

Ali Apprend la Nouvelle de la Révolte de`Âyechah

Le lecteur se demandera sans doute avec anxiété ce que faisait Ali, le Calife, pendant tout ce temps-là. Nous allons donc laisser de c8té les insurgés, maintenant maîtres de Basrah, pour suivre les traces de Ali. Les nouvelles des troubles survenus à la Mecque étaient parvenues à Médine. Mais Ali avait dit que tant qu'une action de grande envergure des insurgés n'aurait pas menacé l'unité de l'Islam, il ne prendrait pas de mesures énergiques contre eux. Après quelques temps, Om Salma, qui avait repoussé fermement les propositions de `Âyechah à la Mecque, comme on l'a vu plus haut, s'étant rendue à Médine rapidement après le départ des insurgés pour Basrah, avait informé Ali de la révolte de `Âyechah, Talhah et Zubayr. Un autre message, en provenance d'Om al-Fadhl la veuve d'al-`Abbâs, qui se trouvait à la Mecque, était parvenu également à Ali, faisant état des mouvements des rebelles contre le Calife et de leur marche sur Basrah.

En apprenant cette nouvelle, Ali avait fait rassembler les gens dans la grande Mosquée et les avait appelés aux armes pour poursuivre les rebelles. Le discours éloquent et les appels chaleureux du Calife avaient été accueillis avec froideur et apathie par l'assemblée. Personne ne paraissait prêt à répondre à l'appel, notamment parce que certains dans l'auditoire avaient pris en considération le fait que la personne contre laquelle on les pressait de prendre les armes n'était autre que la Mère des Croyants, `Âyechah, et redoutaient une guerre civile; d'autres encore se demandaient si Aline avait pas été impliqué indirectement dans la mort de Othmân. Pendant trois jours consécutifs. Ali fit de son mieux pour que les gens bougent et réagissent. Finalement, le troisième jour, Ziyâd Ibn Handhalah se leva et s'avança vers Ali en disant : "Laisse-les rester à l'arrière, moi, j'avancerai". Suivant son exemple, deux Ançâr, Abul-Hathim et Khazima Ibn Thâbit s'avancèrent en prononçant ces propos : "Le Prince des Croyants est innocent du meurtre de Othmân, nous devons le rejoindre". Sur-le-champ Abû Qatâda, un autre Ançârî, un homme distingué, se leva et, tirant son épée, s'exclama : "Le Messager de Dieu, que la paix soit sur lui, m'avait ceint avec cette épée. Je l'ai gardée rengainée depuis longtemps, mais à présent il est grand temps de la dégainer contre ces méchants hommes qui trompent toujours le peuple" (Simon Ockley's His. Sar., p. 300). Même Om Salma dit avec zèle (2) : "Ô Commandeur des Croyants ! Si la loi le permettait, je t'aurais accompagné dans ton expédition, mais je sais que tu ne me le permets pas. Aussi je t'offre les services de mon fils `Omar B. Abî Salma, qui m'est plus cher que ma propre vie. Laisse-le partir avec toi pour partager vos chances". Ali accepta l'offre et `Omar Ibn Abî Salma l'accompagna dans l'expédition. C'était un homme de valeur, de piété et de beaucoup d'autres qualités, et il sera nommé plus tard, gouverneur de Bahrein.

La Marche de `Atî contre `Âyechah

Finalement, une armée de neuf cents hommes put être levée difficilement. L'attitude froide des Médinois dans cette conjoncture critique découragea tellement Ali qu'il décida de ne pas revenir parmi eux et de choisir un autre endroit pour le siège de son gouvernement. Il sortit cependant à la tête de cette petite force de neuf cents hommes dans l'intention de surprendre les rebelles sur leur chemin vers Basrah. Arrivé à Rabdhah (aux abords de Najd), il constata que les insurgés étaient déjà partis et qu'ils se trouvaient bien loin devant. Bien que rejoint dans sa marche par les Banî Tay et quelques autres tribus loyales, il n'était pas suffisamment équipé pour avancer davantage. Aussi ordonna-t-il qu'on fasse halte à Thî-Q`ar (ThîQâr), en attendant l'arrivée de renforts de Kûfa, ville à laquelle il avait envoyé Mohammad Ibn Abî Bakr et `Abdullâh Ibn Ja`far pour demander à son gouverneur Abû Mûsâ al-Ach`arî d'inciter les gens à rejoindre leur Calife afin d'aller avec lui auprès des rebelles et d'essayer de réunir les gens divisés.

La Conduite d'Abû Mûsâ Al-Ach`arî envers le Calife

Abû Mûsâ al-Ach`arî n'était pas bien disposé envers le Calife, qui avait auparavant envoyé `Ammâr Ibn Chahab pour le remplacer, comme nous l'avons déjà vu. En outre, c'était un homme qui manquait d'enthousiasme dans l'accomplissement de ses tâches. `Âyechah lui avait déjà écrit des lettres pour dissuader ses concitoyens de prêter serment d'allégeance à Ali et pour les persuader de se lever pour venger le meurtre de Othmân. Prenant acte du succès de `Âyechah à Basrah, il avait déjà commencé à nuancer son allégeance à Ali et à défendre la cause de `Âyechah devant les gens. Lorsque les messagers du Calife arrivèrent à Kûfa et qu'ils délivrèrent leur message, un silence complet régna sur l'assemblée dans la mosquée. Finalement les gens demandèrent à Abû Mûsâ ce qu'il leur conseillait à propos de la demande du Calife de le rejoindre. Il répondit gravement que sortir ou rester à la maison étaient deux choses différentes. Le premier était un acte pour le monde d'ici-bas, le second pour celui de la vie future. A eux donc de choisir. Choqués par ces propos tendancieux, les envoyés du Calife lui en firent le reproche. Ce à quoi il répondit que le serment d'allégeance envers Othmân l'engageait encore - tout comme il engageait encore leur maître (c'est-à-dire Ali) - ainsi que son peuple, lequel était déterminé à liquider les assassins du défunt Calife où qu'ils se trouvent, et que, aussi longtemps que les meurtriers resteraient tranquilles, il ne participerait à aucune expédition. Il demanda à Mohammad Ibn Abî Bakr et `Abdullah Ibn Ja`far de retourner chez Alipour lui répéter ce qu'il venait de leur dire.

Dans l'intervalle, Othmân Ibn Honayf, l'ex-gouverneur de Basrah, se rendit à Thî-Qa`r. Il était dans un dr6le d'état. Le Calife le reconnut et lui dit en souriant qu'il l'avait laissé un vieil homme et qu'il revenait auprès de lui tel un jeune imberbe. En fait, Othmân avait eu une barbe remarquablement belle, dont la perte, doublée de la perte de ses cheveux et sourcils lui donnait une apparence étrange. Il raconta à Alises mésaventures avec les dirigeants des insurgés, et le Calife sympathisa avec lui pour les souffrances qu'il avait subies, et le réconforta en l'assurant que ses peines seraient comptées comme mérites. Puis il dit que les hommes qui avaient été les premiers à le reconnaître comme Calife, étaient aussi les premiers à abjurer leur serment d'allégeance et les premiers à se rebeller contre lui. Il s'étonna de leur soumission volontaire à Abû Bakr, `Omar et Othmân, et de leur opposition à lui-même.



back 1 2 3 4 5 6 next