Ali (as) le quatrième calife



La Défaite de `Âyechah

Tel fut donc le sort des deux grands dirigeants des rebelles. Quant à `Âyechah, l'implacable âme de la révolte, la femme de guerre, elle continua à hurler inlassablement de sa voix stridente : "Tuez les assassins de Othmân", incitant ses hommes à se battre. Mais les troupes, privées de leurs dirigeants, s'étaient senties déjà démoralisées et avaient commencé à retourner à la ville. Toutefois, voyant que `Âyechah était en danger, ses partisans arrêtèrent leur fuite et revinrent à son secours. Se rassemblant autour de son chameau, ils essayèrent l'un après l'autre d'en saisir la bride et de prendre l'Etendard, mais ils furent abattus à tour de r6le. Ainsi soixante-dix hommes périrent par la bride de cet animal maudit. La litière de `Âyechah, en tôle d'acier et construite comme une cage, était hérissée de dards et de flèches, et sur la bosse de l'énorme bête, elle ressemblait à un hérisson effrayant et en colère. "Convaincu que la bataille ne pourrait être interrompue aussi longtemps que le chameau continuerait à s'amuser de la sorte avec les défenseurs de `Âyechah, Ali exprima aux hommes qui l`entouraient son désir de les voir s'efforcer de terrasser l'animal. Après plusieurs assauts désespérants, Mâlik al-Achtar réussit enfin à forcer un passage et à casser l'une des pattes du chameau. Mais malgré cela, l'animal resta debout et impassible, et persévéra dans son attitude. Une autre patte fut brisée, mais sans résultat. Mâlik al-Achtar, étonné et terrifié par le comportement du chameau ne savait pas s'il devait continuer ou non. Ali s'approcha et lui demanda de frapper sans hésitation même si l'animal paraissait bénéficier du soutien d'un agent surnaturel. Stimulé, Mâlik frappa la troisième patte et l'animal fut immédiatement terrassé. La litière de `Âyechah étant maintenant à terre, Ali ordonna à Mohammad, fils d'Abû Bakr, de se charger de sa soeur et de la protéger des flèches qui continuaient à tomber de partout. Mohammad s'exécuta s'approcha de la litière, et y introduisant sa main qui toucha par hasard celle de `Âyechah, il entendit cette dernière l'accabler d'insultes et crier, interrogative, quel vaurien osait toucher sa main que personne d'autre que le Prophète n'avait l'autorisation de toucher. Mohammad répondit que bien que cette main fût celle de la personne la plus proche d'elle par le sang, elle était aussi celle de son pire ennemi. Reconnaissant alors la voix bien connue de son frère, `Âyechah se défit rapidement de ses appréhensions" (Price's His., cité par S. Ockley, p. 3l0).

La Magnanimité de Ali envers l'ennemi

" `Âyechah pouvait s'attendre logiquement à un traitement sévère de la part de Ali, étant donné qu'elle était son ennemie vindicative et acharnée, mais Ali était trop magnanime pour se venger d'un adversaire vaincu" (W. Irving's Succ. Of Mohd., p.179). Une fois que toutes les confusions liées à la bataille se furent estompées, Ali vint voir `Âyechah et lui demanda comment elle allait. Ayant constaté qu'elle allait bien et qu'elle avait été sauvée sans subir aucun mal, il lui dit sur un ton de reproche : "Le Prophète aurait-il accepté que tu agisses ainsi ?" Elle répondit : "Tu es victorieux. Sois donc bon envers ton adversaire vaincu". Aline lui fit plus de reproches et ordonna à son frère Mohammad d'emmener sa sœur à la maison de `Abdullah Ibn Khalaf, un Khozâ`ite, notable citoyen de Basrah, tué alors qu'il combattait pour `Âyechah. Celle-ci demanda à son frère de chercher les traces de `Abdullah, fils de Zubayr, qu'on trouvera par la suite, blessé, parmi les morts et les blessés qui jonchaient le champ de bataille. Selon le désir de `Âyechah il fut amené devant Ali pour obtenir son pardon. Le très généreux vainqueur promulgua alors avec magnanimité une amnistie générale pour tous les rebelles et leurs alliés, y compris `Abdullah Ibn Zubayr. Malgré toutes ces mesures de clémence, Marwân et les Omayyades s'enfuirent chez Mu`âwiyeh en Syrie, ou à la Mecque.

Le Carnage dans la Bataille

Les pertes dans cette bataille furent très lourdes. Certains historiens avancent le chiffre de seize mille sept cent quatre-vingt-seize tués parmi les hommes de `Âyechah et de mille soixante-dix parmi ceux de Ali. D'autres parlent de dix mille tués parmi les partisans de `Âyechah et cinq mille parmi ceux de Ali. En tout état de cause, les cadavres jonchaient le champ de bataille. Une fosse fut creusée dans laquelle furent enterrés sur ordre du Calife aussi bien les partisans que les adversaires tués dans les combats.

La Retraite de `Âyechah

Lorsque le calme fut revenu, Ali envoya `Abdullah Ibn `Abbâs pour demander à `Âyechah de partir pour Médine, mais elle déclina l'offre, insistant sur le fait qu'elle ne voulait pas aller dans un endroit où il y avait des Hâchimites. Quelques propos de reproches furent échangés entre l'émissaire de Ali et `Âyechah, et le premier revint auprès du Calife pour lui signifier son refus. Mâlik al-Achtar fut envoyé alors avec la même mission, mais il échoua lui aussi dans sa tentative de la persuader d'accepter l'offre du Calife. Puis Ali lui-même alla la voir et lui dit qu'elle avait le devoir de rester tranquille à sa maison où elle devait aller maintenant afin de retrouver le gîte dans lequel le Prophète l'avait laissée, et d'oublier le passé. "Que Dieu te pardonne, ajouta-t-il, pour ce que tu as fait, et qu'IL te couvre de Sa Clémence". Mais `Âyechah ne prêta pas attention à la parole de Ali. Ce dernier lui envoya enfin, son fils al-Hassan pour l'avertir que si elle persistait dans son refus de regagner son foyer à Médine, elle serait traitée de la façon qu'elle connaissait bien. Lorsqu’al Hassan arriva, elle était en train de se coiffer, mais ayant entendu le message, elle fut si embarrassée qu'elle laissa ses cheveux à moitié coiffés, se leva tout de suite et donna l'ordre de se préparer immédiatement en vue de voyager. Après le départ d'al-Hassan les dames de la maison lui demandèrent ce que ce garçon avait de particulier qui l'avait mise si mal à l'aise alors qu'elle n'avait pas hésité auparavant à repousser la proposition de Ibn `Abbâs, Mâlik al-Achtar et même de Ali lui-même. `Âyechah raconta alors comment le Prophète avait donné à Ali le pouvoir de prononcer lui-même le divorce des femmes du Prophète aussi bien de son vivant qu'après sa mort. "Al Hassan, dit-elle, était porteur de ce message d'avertissement de Ali qui lui faisait valoir son autorité, ce qui l'avait mise si mal à l'aise. Ali fit alors les arrangements convenables pour le voyage de `Âyechah et ordonna à ses deux fils, al-Hassan et al-Hussayn, de l'escorter pendant une étape, et il l'accompagna lui-même jusqu'à une certaine distance. "Sur ordre de Ali, `Âyechah fut escortée par une suite de femmes (quarante ou soixante-dix), déguisées en hommes, dont l'approche familière fit l'objet de plaintes constantes. Mais une fois arrivée à Médine, `Âyechah découvrit la délicatesse de la ruse et devint aussi généreuse, dans sa reconnaissance, qu'elle l'avait été auparavant dans ses reproches" (Price's Mohd. His., His., cité par S. Ockley, p. 310).

Les Butins de Guerre

Comme il a été mentionné plus haut, Ali avait interdit à ses armées tout pillage. "Ainsi, les ordres de Ali concernant l'interdiction du pillage avaient été respectés avec un tel scrupule que tout ce qu'on avait trouvé sur le champ de bataille ou dans le camp de l'ennemi fut rassemblé dans la grande mosquée, de sorte que chacun pouvait réclamer la restitution de son bien. Aux mécontents qui se plaignaient de n'avoir pas la permission de puiser dans le butin, Ali répondit que les droits de la guerre avaient duré aussi longtemps que les rangs étaient en ordre de bataille, les uns face aux autres, et que tout de suite après leur soumission, les insurgés avaient recouvré leurs droits et privilèges de frères Musulmans. Une fois entré dans la ville, il divisa le contenu du trésor parmi les troupes qui avaient combattu pour lui, tout en leur promettant une récompense encore plus grande lorsque Dieu aurait fait délivrer la Syrie" (Muir's Annals, p. 366).

Le Transfert du Siège du Gouvernement

Le séjour de Ali à Basrah ne dura pas longtemps. Après avoir nommé `Abdullah Ibn `Abbâs gouverneur de cette ville. Le Calife repartit pour Kûfa au mois de Rajab de l'an 36 A.H. Craignant les mauvais desseins de Mu`âwiyeh à son égard, le Calife considéra Kûfa comme un lieu bien situé pour faire face à toute attaque contre la région de l'Irak ou de la Mésopotamie. Peut-être aussi en reconnaissance de l'assistance qu'il avait reçue de la part des Irakiens, il estima bon de transférer de Médine à Kûfa le siège de son gouvernement. Il fit ainsi de cette ville le centre de l'Islam et la capitale de l'Empire, et c'était d'autant plus à bon escient que Kûfa était géographiquement au centre de ses provinces.

La Zone de Domination de Ali

La conspiration de `Âyechah, Talhah et Zubayr ayant fait long feu sur le champ de bataille de Khoraybah, Alijouit d'une victoire qui lui assurait désormais une domination totale sur un territoire s'étendant du Khorâsân à l'est à l'Egypte à l'ouest, à l'exception des provinces situées au nord-ouest de l'Arabie, lesquelles étaient sous l'influence du gouverneur de Syrie, Mu`âwiyeh.

Les Activités Préliminaires de Mu`âwiyeh

Nous avons déjà noté que pendant son séjour à Médine, à l'occasion de sa visite au Calife Othmân, Mu`âwiyeh avait demandé un jour à Ka`b al-Ahbar de prédire comment les troubles actuels contre Othmân se termineraient. Ka`b avait prédit que Othmân serait assassiné et qu'après une longue course la Mule Grise (c'est-à-dire Mu`âwiyeh) réussirait à s'emparer du pouvoir. Confiant dans cette prédiction, Mu`âwiyeh cherchait les occasions susceptibles de le mener à l'autorité suprême et n'omettait jamais de faire le nécessaire pour réaliser cet objectif qu'il ne perdra jamais de vue dans toutes les actions qu'il entreprendra. Et c'est par rapport à cet objectif qu'il faut comprendre pourquoi Mu`âwiyeh ne s'était pas empressé d'envoyer le secours demandé par Othmân lorsque celui-ci avait été assiégé, pourquoi, une fois Othmân assassiné, il s'était attaché à inciter les Syriens à venger son sang en exhibant du haut de sa chaire la chemise ensanglantée du Calife assassinée, pourquoi il avait retenu pendant longtemps le messager de Ali et évité de donner une réponse définitive à sa demande de lui faire son allégeance, espérant ainsi que l'esprit de révolte ne tarderait pas à se répandre parmi les Syriens, pourquoi il avait rassemblé autour de lui tous les notables en disgrâce, tels que `Obaydullâh (le fils du Calife `Omar, le meurtrier qui avait fui, de peur d'être traduit en justice devant Ali), `Abdullah Ibn Abî Sarh (l'ex gouverneur d'Egypte, qui avait été révoqué lorsque Ali avait accédé au Califat), Marwân (le secrétaire et le mauvais génie du Calife Othmân), ainsi que presque tous les proches partisans de ce Calife, et les Omayyades qui avaient fui chez lui après la défaite de `Âyechah à Basrah, pourquoi il s'était assuré l'alliance de `Amr Ibn al-`Âç, le conquérant de l'Egypte et l'ex gouverneur de ce pays, maintenant résidant en Palestine en tant que propriétaire, mais aussi en tant que contestataire (ayant obtenu l'assurance de Mu`âwiyeh de reprendre son poste de gouverneur de ce pays en contrepartie de sa coopération en vue de la déposition de Ali, il prêta serment d'allégeance à Mu`âwiyeh, le reconnaissant comme le Calife légal en présence de toute l'armée, laquelle lui emboîta le pas, et fut suivie par le grand public de la Syrie, qui se joignit à cette cérémonie d'acclamation), pourquoi il avait cherché l'allégeance de nombreux Compagnons distingués du Prophète, tels que Sa`d Ibn Abî Waqqâç, `Abdullah Ibn `Omar, Osâmah Ibn Zayd, Mohammad Ibn Maslamah qui s'étaient fait remarquer par leur non prestation de serment d'allégeance à Ali lors de l'inauguration de son Califat, mais qui avaient rejeté également la sollicitation de Mu`âwiyeh et lui avaient écrit des lettres de reproches, choisissant ainsi, de rester à l'écart des deux parties (à cette époque, Abû Horayrah, Abû al-Dardâ', Abû Osâmah al-Bâhilî et No`mân Ibn Bachîr al-Ançârî était les seuls Compagnons du Prophète en service auprès de la Cour de Mu`âwiyeh), pourquoi, étant pendant plus de vingt ans le gouverneur de cette riche province de Syrie et ayant adopté une politique clairvoyante depuis le tout début, comme nous l'avons déjà noté, il avait amassé un immense trésor et préparé une puissante armée qui lui était totalement inféodée. Maintenant, les préjugés tendant à impliquer Ali dans l'assassinat de Othmân, qu'il avait inculqués perfidement aux Syriens en général et à l'armée en particulier, militaient en sa faveur. La chemise tachée du sang de Othmân pendait encore sur la chaire dans la grande mosquée de Damas, et les gens, enflammés par la vue de cet objet macabre, sanglotaient à chaudes larmes et criaient vengeance contre les meurtriers et leurs protecteurs. Tel était le terrible adversaire à qui Ali avait affaire après en avoir fini avec `Âyechah, Talhah et Zubayr.

 



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