Pourquoi a-t-on besoin d’un Imâm ?La philosophie de l’Imâmat selon les croyances chiites "Si vous comptiez les bienfaits de Dieu, vous ne sauriez les dénombrer" (Coran ; 16:18) Si le chiisme a fait l’objet d’attaques en tout genre au cours de son histoire, l’assaut le plus virulent qui lui fut adressé se situe sans doute au niveau du dogme : le rang qu’il accorde aux Imâms porterait atteinte à l’unicité et la seigneurie divines, tandis que le concept de wilâyat remettrait en cause le principe même de la fin de la prophétie scellée par Mohammad. Au sein des différentes écoles de l’islam, la critique est souvent formulée en ces termes : si Dieu a envoyé un prophète et révélé un livre qui se présente comme étant un "éclaircissement de toute chose" (16:89), pourquoi aurait-on besoin d’un Imâm ? Au cours de cet article, nous allons évoquer plusieurs raisons qui, selon les chiites, justifient la nécessité de l’existence d’un légataire (wasî) et d’un successeur à la suite d’une révélation prophétique. Nous devons à ce titre rappeler qu’en tant que l’un des cinq principes fondamentaux du chiisme, l’Imâmat [1] n’est en premier lieu pas une affaire de foi mais d’intellect : le croyant doit d’abord accepter rationnellement la nécessité de l’existence d’un Imâm succédant à la prophétie avant de suivre une personne particulière revendiquant le titre d’Imâm. Cette dimension rationnelle à la source de l’existence de l’Imâmat a été évoquée dans l’article intitulé "Qu’est-ce que le chiisme ?" publié dans ce même numéro. Suivant une logique de complémentarité, le présent article vise à expliciter davantage les raisons justifiant l’existence des Imâms en nous basant notamment sur différents aspects de leur vie à la lumière du contexte historique de chaque époque. Cette présentation permettra également de souligner l’ampleur du rôle dévolu à l’Imâm, couvrant des domaines aussi variés que l’exégèse, la cosmologie, la métaphysique mais aussi le droit, la politique, etc. ; cette diversité ne faisant que refléter les différentes dimensions de l’existence de l’Imâm, à la fois terrestre et extérieure (zâheri), mais aussi spirituelle et suprasensible (bâteni). Il faut enfin rappeler que selon un point de vue chiite, les Imâms sont des hommes parfaits et préservés de toute erreur, la plus haute manifestation des noms de Dieu sur terre. Toute pensée ou écrit à leur propos est donc condamné à ne saisir qu’un aspect limité de leur personnalité. Rappeler et enraciner le message de la révélation Après la mort d’un Prophète, l’une des premières missions de l’Imâm est de ne pas laisser dépérir l’élan spirituel de la jeune communauté musulmane, et de rappeler aux croyants l’esprit et les fondamentaux de la religion. Le but d’une religion est d’inviter l’homme à croire en l’invisible et à orienter l’ensemble de ses actes en vue d’un Au-delà imperceptible par les sens, élan qui demande à être accompagné, entretenu, pour ne pas retomber, et qui ne peut s’enraciner à l’échelle d’une société en seulement quelques décennies. D’un point de vue historique, avec l’arrivée de nouvelles générations n’ayant pas connu le Prophète, le message divin a connu de sérieuses déformations face aux nouveaux enjeux de pouvoir et à l’attrait des biens de ce monde, pour parfois n’être réduit qu’à une écorce vide. L’un des rôles fondamentaux de l’Imâm est donc de garder cet appel originel vivant, de l’enraciner dans l’esprit des gens, et de le préserver d’éventuelles déviations. Comme nous allons le voir, la mission des premiers Imâms ne fut pas seulement d’expliciter les principes fondamentaux de la religion tels que l’unicité de Dieu, l’existence d’un Au-delà … mais d’abord de les rappeler. [2] De nombreuses paroles de l’Imâm Sajjâd consacrées au simple rappel des principes de base de la religion tels que la résurrection et l’existence d’un Au-delà , laissent entendre à quel point les croyances étaient affaiblies moins de soixante ans après la mort du prophète Mohammad. A l’époque de l’Imâm Bâqer, les affaires religieuses demeuraient fortement négligées. Ibn ’Abbâs rapporte à ce propos qu’à la tribune de Basra, lors du sermon de la fin du mois de Ramadan, on rappela aux gens de donner l’aumône de leur jeûne (zakât al-fitra) [3], ces derniers ignorant ce principe essentiel scellant la fin de ce mois sacré. A la même époque, on rapporte que la majorité des croyants avait oublié les rites du pèlerinage à La Mecque [4], tandis que certains habitants de Shâm ignoraient le nombre de prières obligatoires. Nous pouvons ici mieux cerner le rôle des Imâms comme "gens du rappel" et comprendre que sans eux, il ne serait sans doute pas resté grand-chose non seulement de l’esprit de l’islam, mais aussi des pratiques rituelles les plus élémentaires. Cette réalité a été confirmée par l’Imâm Bâqer, qui, à propos du verset suivant, "Nous n’avons envoyé avant toi que des hommes à qui Nous faisions des révélations. Interrogez les gens du Rappel, si vous ne savez pas." (21:7), souligne : "Nous sommes les gens du Rappel" [5], ou dit à propos de ce verset : "La permanence de Dieu est meilleure pour vous si vous êtres croyants" (11:86) : "Je suis la permanence de Dieu." [6] Outre le rappel du Coran, les Imâms ont également permis de revivifier différentes traditions du Prophète ayant été oubliées ou sciemment effacées par certains califes. Les Imâms Bâqer et Sâdeq ont aussi formé de très nombreux savants dans le domaine des sciences islamiques, permettant un enracinement et une diffusion sans précédent de la lettre et de l’esprit de la révélation. Ils eurent également un rôle essentiel dans l’explicitation des fondements du droit (usûl al-fiqh), lançant ainsi un vaste mouvement de recherche sur le plan juridique (ijtihâd) en donnant une assise solide au droit et en invitant ensuite les savants religieux à déduire par eux-mêmes des règlements de ces principes généraux. Dévoiler les sens cachés du Coran et l’esprit de la révélation
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