Le Chiisme : Prolongement naturel de la ligne du Prophètec) - Le Chourâ est, en vérité, l'expression de l'exercice du pouvoir, d'une façon autre, par la Ummah, et de la détermination du sort du gouvernement par la concertation. Il s'agit donc d'une responsabilité que doit assumer un grand nombre de citoyens, c'est-à -dire tous ceux qui sont concernés par le Choura; ce qui signifie que s'il constituait une prescription canonique (légale), destinée à être appliquée après le décès du Prophète, le plus grand nombre de ces citoyens auraient dû en être informés, étant donné qu'ils avaient le devoir d'y participer activement et que chacun d'eux y assumait sa part de responsabilité. Tout cela prouve que si le Prophète opté pour le système de Choura comme moyen d'assurer la direction de la Ummah après sa disparition, il lui aurait été indispensable de lancer largement et profondément l'idée de Choura, d'y préparer tout le monde psychologiquement, d'en colmater toutes les failles, d'en expliquer tous les détails de nature à la rendre pratiquer. Or, il est impossible que le Prophète ait lancé l'idée de Choura à ce niveau - de profondeur, de qualité et de quantité - et qu'il ne restât de celle-ci aucune trace sur tous les Musulmans qui ont vécu avec lui (le Prophète) jusqu'à sa mort. On pourrait échafauder une autre hypothèse à ce propos, à savoir que le Prophète aurait lancé l'idée de Choura aussi amplement et aussi largement que la situation l'aurait exigé, et que les Musulmans l'auraient bien assimilée, mais que des motivations politiques apparues subitement auraient dissimulé la vérité et imposé aux gens de garder le silence sur ce qu'ils auraient entendu du Prophète, concernant le Choura, ses statuts et ses détails. Mais une telle hypothèse ne résiste guère à l'examen, car de telles motivations, quoi qu'on en dise, ne comprennent pas les compagnons qui n'avaient pas participé aux événements politiques qui se sont déroulés après la mort du Prophète, ni à la réunion de la Saqîfah. Ils s'étaient tenus à l'écart de ces événements. Ces Musulmans représentent, numériquement, une grande partie de toute société, quel que soit le degré de sa politisation. Si l'idée de Choura avait été lancée par le Prophète de la façon que nous avons soulignée, elle n'aurait pas eu de motivations politiques, mais serait répandue naturellement par les Compagnons, comme ce fut le cas des textes prophétiques concernant les vertus de l'Imam Alî et sa qualité de régent (waçyy) par l'intermédiaire de ces compagnons. Pourquoi les motivations politiques n'ont-elles pas empêché les centaines de hadith du Prophète concernant les vertus de Alî, sa qualité de régent et son autorité, de nous parvenir grâce aux compagnons, bien que cela (ces hadith) ne fût pas favorable à la situation qui prévalait à l'époque - alors qu'elles auraient empêché les hadith relatifs à l'idée de Choura de nous être transmis! N'est-ce pas un paradoxe insoutenable! Mieux même ceux, qui représentaient la tendance dominante à l'époque, n'invoquaient pas le slogan de Choura - comme une référence attribuée au Prophète - lorsque des divergences politiques les opposaient souvent les uns aux autres, alors qu'ils se trouvaient dans une situation où cette invocation aurait pu les favoriser! Prenons-en un exemple. Talha s'est révolté contre la désignation de Omar par Abû Bakr pour la succession et l'a désapprouvée publiquement; pourtant il n'a pas songé à jouer la carte de Choura contre cette nomination en faisant valoir que l'attitude d'Abû Bakr serait contraire aux hadith du Prophète concernant le Choura et l'élection. Si un tel argument était fondé, aurait-il manqué de l'utiliser? II - Si le Prophète avait vraiment décidé de confier à a génération d'avant-garde, qui comprenait les Emigrés et les Partisans parmi les Compagnons, la responsabilité de poursuivre l'action du changement islamique, il aurait été obligé de mobiliser largement cette génération, sur les plans missionnaire et intellectuel, afin qu'elle puisse posséder profondément la théorie (islamique), la traduire consciemment, par la suite dans la pratique, et trouver des solutions conformes au Message, aux différents problèmes qui se poseraient continuellement à l'Appel. Une telle action de mobilisation intensive et générale eût été d'autant plus indispensable que le Prophète qui avait déjà prédit la chute de Cyrus et de César, savait pertinemment que de grandes conquêtes attendaient l'Appel, que la Ummah devrait par conséquent se préparer à assumer la responsabilité d'initier les peuple conquis à l'Islam, et de se prémunir contre les dangers de cette ouverture sur le monde, d'appliquer les prescriptions de la législation islamique dans les pays conquis et chez leurs peuples. Or, bien que la génération d'avant-garde ait été la plus probe de celles qui ont hérité successivement de l'Appel après elle, et la plus disposée d'entre elles au sacrifice, on n'y remarque pas les reflets de cette préparation spéciale susceptible de la rendre apte à assumer la responsabilité de l'Appel et l'Assimilation profonde de ses concepts. Notons à ce propos que le total de hadith prophétiques rapportés par les Compagnons et concernant le domaine de la législation, ne dépasse pas quelques centaines, alors que nombres de Compagnons était selon les livres d'histoire, d'environs 12.000, qui vivaient pourtant matin et soir avec le Prophète dans un même pays, et dans une même mosquée. Lorsqu'on compare ces deux chiffres, peut-on y voir des indices d'une préparation spéciale en vue de diriger un pouvoir islamique?(36) Prenons un autre exemple qui soit à même de corroborer notre affirmation de l'inexistence d'une telle préparation. On sait en effet que les Compagnons évitaient de prendre l'initiative de poser des questions au Prophète; et ce à tel point que l'un d'eux, lorsqu'il avait quelque chose à lui demander, préférait la venue d'un visiteur (d'un bédouin venant de l'extérieur de la ville), dans l'espoir qu'il poserait la question dont il voulait lui-même connaître la réponse. Ils estimaient que c'était un superflu à éviter que de poser des questions sur les statuts des problèmes qui n'existaient pas encore. En témoignent ces propos que Omar prononça de sa chaire: «Par Dieu, j'interdis qu'un homme pose des questions sur ce qui n'existe pas, car le Prophète a expliqué ce qui existe».(37) Et «Il n'est pas permis que l'on pose des questions sur ce qui n'est pas (arrivé). Dieu a pris Sa décision sur ce qui est (existe effectivement)». Ibn Omar a répondu à un homme venu lui poser une question sur un problème donné: «Ne pose pas de question sur ce qui n'est pas arrivé, car j'ai entendu Omar Ibn al-Khattâb maudire celui qui pose des questions sur ce qui ne s'est pas encore produit».(38) De même lorsque quelqu'un interrogea Abî bin Ka'b sur une affaire, celui-ci lui dit:
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