Le Chiisme : Prolongement naturel de la ligne du Prophète- Le problème sur lequel tu me poses la question s'est-il produit ? - Non, dit l'interlocuteur. - Attends donc jusqu'a ce qu il se produise.(39) Un jour, alors que Omar lisait le Coran, il s'est arrêté sur ce verset: «... Nous en avons fait sortir des céréales, des vignes et des légumes, des olives et des palmiers, des jardins touffus, des fruits et des pâturages...», en se demandant: « Bon, tout cela nous l'avons compris, mais que veut dire "pâturages"?», avant de trancher lui-même: «C'est, par Dieu, une peine inutile. Si vous ne savez pas ce que veut dire "pâturages", cela n'est pas grave. Cherchez ce que Dieu vous a expliqué dans le Livre et suivez-le. Quant à ce qui ne vous est pas connu, confiez-le à Dieu». Tous ces exemples montrent donc qu'il y avait chez les Compagnons une tendance à ne poser des questions que dans la limite des problèmes précis et posés effectivement. Et c'est cette tendance qui était la cause du nombre limité de hadith qu'ils ont rapportés du Prophète, concernant la législation, et la raison pour laquelle les musulmans ont eu recours à des sources de législation autres que le Coran et la Sunnah, telles que l' «istihsan» (jugement prudentiel)(40), le «qiyâs» (analogie)(41) et bien d'autres types d'ijtihâd (jugement personnel), dans lesquels l'élément personnel du Mujtahid (docteur de la Loi) joue un rôle; ce qui a conduit à l'infiltration de la personnalité de l'homme, de ses goûts et conceptions particulières, dans la Législation (divine). Cette tendance est le contraire d'une préparation missionnaire spéciale nécessitant une large action de formation culturelle et une prise de conscience des problèmes qui ne tarderaient pas à se poser à la direction et auxquels celle-ci devrait trouver des solutions conformes à la Loi islamique. De même que les Compagnons ont évité d'interroger le Prophète de leur propre chef, de même ils ont omis d'enregistrer ses paroles et sa Sunnah, bien que celle-ci constitue la seconde source de la législation islamique et que l'enregistrement soit le seul moyen susceptible de la conserver et de la prémunir contre les risques de perte et de déviation. A ce propos, al-Harawi, citant, dans son "Tham al-Kalam", Yahiyâ Ibn Sa'd, a rapporté ce témoignage de Abdullâh ibn Dinar: «Ni les Compagnons ni les Suivants (al-Tabi'în)(42) n'enregistraient les hadith du Prophète. Ils se sont contentés de les apprendre oralement et de les mémoriser». Selon "Tabaqât" d'Ibn Sa'd, le deuxième calife (Omar) réfléchissait pendant un mois sur la meilleure décision (ou attitude) à prendre vis-à -vis de la Sunnah du Prophète. Il a fini par interdire de l'enregistrer. Il s'en est suivi que cette Sunnah, la plus importante référence de l'Islam après le noble Livre (le Coran), reste pendant environ 250 ans à la merci du destin, risquant tantôt l'oubli, tantôt la déviation et tantôt la mort des «Mémorisateurs» (hafidoun).(43) Cela dit, comment peut-on concevoir, un instant, que les tenants de cette tendance naïve - encore s'il s'agissait vraiment de naïveté - qui dédaignaient de poser des questions sur un problème avant qu'il ne se produise effectivement, et refusaient d'enregistrer les Sunan(44) du Prophète une fois celles-ci décrétées, soient compétents pour diriger le nouveau Message, pendant l'étape la plus importante et la plus difficile de sa longue marche? Pis, comment peut-on imaginer que le Prophète ait pu laisser sa Sunnah dispersée, sans enregistrement ni précision, tout en ordonnant à ses fidèles de s'y attacher? S'il préparait les Musulmans vraiment à l'idée de Choura, n'aurait-il pas été nécessaire de fixer la constitution du Choura et de préciser sa Sunnah afin que le Choura suive une direction précise et déterminée, à l'abri des caprices.
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