Abou Bakr, le premier calife



Ali était le cousin de Mohammad et le mari de sa fille bien-aimée, Fatima. Le droit de succession sur la base de la consanguinité revenait à Ali, dont les vertus et les services rendus lui donnaient plus d'un titre à la succession au Prophète. Dans la première explosion de son zèle, lorsque l'Islam était encore une religion tournée en dérision et persécutée, il avait été déclaré, par Mohammad, frère et lieutenant. Depuis toujours il était dévoué à Mohammad en paroles et en actions. Il avait honoré sa cause par sa magnanimité aussi bien qu'il l'avait défendue par son courage." (W. Irving)

"Sa naissance, son alliance et son caractère, qui le plaçaient au-dessus du reste de ses compatriotes, devaient justifier suffisamment sa revendication du tr6ne vacant de l'Arabie. Le fils d'Abû Tâlib était de facto le Chef de la famille de Hâchim, et le prince héréditaire ou le gardien de la cité et du temple de la Mecque. La lumière de la prophétie avait été éteinte, mais le mari de Fatima pouvait s'attendre à l'héritage et à la bénédiction de la fille du Prophète, car les Arabes avaient parfois accepté le règne d'une femme, et d'autre part ils avaient souvent vu les deux petits-fils du Prophète, caressés par lui sur ses genoux, ou assis sur sa chaire, et présentés comme étant l'espoir de sa vie et les deux Maîtres de la Jeunesse du Paradis.

Depuis la première heure de sa Mission jusqu'aux derniers rites de ses funérailles, le Messager n'avait jamais été délaissé par cet ami généreux qu'il aimait à appeler son frère, son lieutenant et le fidèle Aaron d'un second Moïse".

Les mérites de Ali et les paroles prononcées par le Prophète de Dieu en sa faveur suscitèrent la jalousie des contemporains. L'ascendance familiale du jeune héros et, plus encore, les déclarations du Prophète le désignant comme étant son lieutenant, hissant sa position auprès de lui au niveau de celle d'Aaron par rapport à Moïse, déplaisaient à l'aristocratie aisée, désireuse de détenir elle-même le sceptre. La prééminence des Hâchimites, qui avait atteint son zénith avec l'avènement de Mohammad (Que la Paix soit sur lui), était trop incontestable pour être écrasée. La mort du Prophète permit à la longue à; l'aristocratie de s'exprimer, et de raviver par conséquent l'ancienne discorde tribale. Quelques jours plus tard, `Omar avoua que Quraych ne pourrait jamais se réconcilier avec la fière prééminence de la lignée hâchimite. Ainsi toute l'aristocratie cherchait à arracher à Ali l'occasion de succéder au Prophète de Dieu, et à détruire par là même la prééminence des Hâchimites. A peine le Prophète avait-il fermé les yeux que les adversaires des Hâchimites, sans même attendre son enterrement, se réunirent à Saqîfah Banî Sâ`îdah pour discuter de l'élection de quelqu'un qui assumerait l'autorité du Prophète, et priver ainsi Ali de son droit à la succession.

L'Election à Saqîfah

Alors que l'irréprochable lieutenant du Prophète d'Allah était occupé aux préparatifs de l'enterrement du défunt, les Muhâjirîn de la Mecque et les Ançâr de Médine faisaient parade de leurs mérites respectifs à Saqîfah. Les Muhâjirîn réclamaient pour eux la préférence en raison de leur antériorité dans l'Islam, leur parenté avec le Prophète et leur émigration avec lui au risque manifeste de leur vie et de leurs biens. Les Ançâr firent valoir (par la voix de leur porte-parole, Hobâb) qu'ils avaient autant de droit que qui que ce fût, vu qu'ils avaient accueilli le Prophète lorsqu'il avait fui ses ennemis mecquois, qu'ils l'avaient protégé au moment de l'adversité et qu'ils l'avaient aidé en tenant tête à ses puissants adversaires, ce qui lui avait permis en fin de compte d'établir sa force et son autorité éminentes. Ils alléguèrent même qu'ils craignaient qu'on se vengeât (La vengeance était presque un principe religieux parmi les Arabes. Venger un parent tué était un devoir pour sa famille, et ce devoir menait souvent l'honneur de sa tribu en jeu. Et ces dettes de sang demeuraient parfois impayées pendant des générations, provoquant des conflits meurtriers". Gibbon fait remarquer que les Arabes menaient une vie marquée par une intention criminelle et par le soupçon, parfois pendant cinquante ans avant que les comptes de la vengeance ne fussent réglés) d'eux si l'autorité tombait entre les mains de ceux dont ils avaient tué les pères et les frères en défendant le Prophète. (Il est à noter ici que c'est dans ce propos que réside le fond de la tragédie de Karbalâ' dont parlait Hobâb, un porte parole prudent et à l'esprit alerte, des Ançâr. Ses craintes s'avéreront justifiées lors du massacre vengeur de la descendance de Ali ou du Prophète - dont un bébé de six mois - à Karbala', et lors des crimes hideux perpétrés contre les Ançars à Harra). Lorsque Hobâb exprima cette opinion, `Omar répliqua avec indignation : "Vous devriez mourir si le Califat tombait entre les mains de telles gens que vous craignez".

Pour réfuter les revendications des Ançâr, `Omar dit: "J'ai désiré moi-même faire un discours que j'avais spécialement élaboré dans mon esprit - ayant présumé qu'Abû Bakr manquerait l'occasion - mais Abû Bakr m'a arrêté et j'ai pensé alors qu'il n'était pas convenable de désobéir au Calife deux fois en une seule journée. Toutefois, à mon grand soulagement, je l'ai trouvé à la hauteur de la tâche. Il argua que les Quraych ne niaient pas les services rendus par les Ançâr pour promouvoir la cause de l'Islam, mais malgré tous ces services méritoires, ils ne devaient pas croire avoir un titre quelconque pour aspirer à une entière autorité sur les Quraych. Concernant les appréhensions dont avait parlé Hobâb, ils ne devaient pas, dit-il, avoir de telles craintes, surtout en raison de la possibilité qui leur était offerte de participer au gouvernement, par le poste de Ministère. Les Ançâr dirent alors qu'il acceptaient qu'il y eût deux Califes, représentant les deux parties, pour exercer l'autorité conjointement, et ils nommère même Sa`d Ibn `Obâdah, leur dirigeant, pour être leur élu. Mais Abû Bakr et son parti ne pouvaient d'aucune façon approuver une telle proposition, et persistèrent à affirmer que le gouvernement devait rester entre les mains des Quraych, et que les Ançâr devaient se contenter du Ministère.

Abû Bakr "Elu" à la Succession du Prophète

Les Ançâr ayant refusé de céder,la tension monta tellement qu'ils faillirent en venir aux coups lorsqu'Abû Bakr intervint et leur demanda s'ils n'avaient pas entendu le Prophète dire que personne d'autre qu'un Quraychite n'est apte à exercer l'autorité sur les Quraych". Bachîr B. Sa`d, l’un des Ançâr qui partageait les vues des Muhâjirîn répondit sur le champ en faveur de ceux-ci. Encouragé par cette intervention Abû Bakr déclara avec détermination que jamais les Quraych n'accepteraient qu'un non-Quraychite les gouvernât, et il s'avança afin qu'ils choisissent l'un des deux comme Calife Là, les Ançâr commencèrent à dire qu'ils préféreraient prêter allégeance à Ali, le meilleur des Quraych. A ce moment critique `Omar, perdant patience, s'écria : "Tends ta main, Ô Abû Bakr ! Je te prêterai sûrement serment d'allégeance". Abû Bakr répondit : "Tu es plus ferme que moi", en le répétant. `Omar, tenant alors la main d'Abû Bakr, dit: "'Il es plus convenable que moi, et tu as sûrement ma fermeté sans parler de tes autres mérites personnels. Je jure allégeance envers toi". Ainsi, `Omar déclara à haute voix qu'il reconnaissait Abû Bakr comme Chef, et lui fit serment de fidélité. Abû `Obaydah et quelques autres Muhâjirîn qui les avaient accompagnés à Saqîfah suivirent son exemple. Bachîr et un autre Ançârî de son parti prêtèrent serment d'allégeance à Abû Bakr et la confusion prit ainsi fin. Hobâb eut une altercation avec Bachir pour sa conduite traîtresse en préférant Abû Bakr à Sa`d B. `Obâdah, mais avec l'intercession de certains autres Ançâr, la tension fut apaisée.

Sa`d Ibn `Obadâh, le chef des Ançâr, fut profondément chagriné d'être évincé de la sorte. Aussi ne prêta-t-il pas serment d'allégeance à Abû Bakr. Il quitta par la suite Médine pour se retirer, écœuré, en Syrie où il sera assassiné abominablement, dit-on, à l'époque du Califat de `Omar, en l'an l5 A.H.

L'Installation d'Abû Bakr

Ayant obtenu la convention à Saqîfah, Abû Bakr s'assit le lendemain sur la chaire au Masjid où les gens avaient été rassemblés pour lui prêter un serment d'allégeance général et pour ratifier l'allégeance prêtée à Saqîfah afin de prévenir tout revirement. A la vue de l'assemblée `Omar était convaincu qu'Abû Bakr assurerait cette succession sur un pied solide. La deuxième chose était de prendre garde à une sérieuse rupture qu'il craignait de la part de Ali, si ce dernier obtenait le suffrage des siens de la même manière [("Les deux Cheikh (Bokhârî et Muslim) ont noté que Omar avait dit : "Que personne ne se trompe en disant que l'allégeance à Abû BalQ a été faite à la légère - bien qu'elle fût ainsi - le Seigneur en a prévenu les mauvaises conséquences. b -' L'urgence du moment et l'assentiment des gens purent excuser cette mesure illégale et précipitée, mais Omar lui-même avoua du haut de la chaire que si un Musulman sollicitait désormais le suffrage de son frère, tous deux, l'électeur et l'élu mériteraient la peine de mort." (Gibbon)] Dont avait procédé Abû Bakr à Saqîfah. C'est pourquoi, avant qu'Abû Bakr ne prenne la parole, `Omar s'était montré assez prudent pour prendre les mesures nécessaires pour mettre en échec toute éventuelle rupture en menaçant de la peine capitale quiconque ferait ce qu'avait fait Abû Bakr la veille à Saqîfah, c'est-à-dire obtenir un suffrage sans le consentement de tous les Musulmans. Debout à c6té de la chaire, `Omar fut le premier à s'adresser à l'assemblée.

"Bien que `Omar eût été le premier à proposer Abû Bakr à l'assemblée et à le reconnaître comme Calife, il n'approuva pas par la suite ce choix dont la nécessité avait été commandée par une conjoncture critique. Cela apparaît donc dans ce qu'il dit lui-même à ce propos : "Je prie Dieu pour qu'IL Prévienne les mauvaises conséquences à craindre d'un tel choix. Aussi quiconque ferait une chose pareille mériterait la peine de mort, et si jamais quelqu'un prêtait serment de fidélité à un autre sans le consentement du reste des Musulmans, tous deux ... devraient être mis à mort."



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