Récit du martyr de l'Imam Hussein



Une nuit, la caravane fit halte près d'un ermitage. Le moine qui vivait là avait passé toute sa vie en prière et en méditation, et dans l'adoration de Dieu. Chamir confia les têtes à sa garde, certain qu'elles ne risqueraient pas d'être volées. Un simple regard au visage de l'Imam Hussein convainquit l'ermite qu'il s'agissait là de la tête d'un Saint. Il la prit avec lui et la garda à son chevet pendant qu'il prenait quelque repos. Il vit en songe tous les Prophètes et les Anges descendre du Ciel et se promener sur la tête qui reposait près de lui...

Il s'éveilla, et se demanda ce qu'il devait faire. Il décida d'interroger le chef de la caravane au sujet de l'identité des personnes décapitées et des femmes et des enfants qu'ils détenaient prisonniers. Il sortit donc de son ermitage, réveilla Chamir, et le questionna. Chamir lui révéla que c'était le petit-fils du Prophète Mohammad, qu'il avait refusé de reconnaître l'autorité religieuse de Yazid, et qu'il avait été tué pour cette raison, en même temps que ses parents et ses partisans. Il lui dit que les captifs étaient les survivants de la Famille du Prophète, et qu'ils étaient conduits auprès de Yazid qui déciderait quel châtiment devait leur être infligé. Au comble de l'indignation le saint homme s’écria :

- Que la Malédiction de Dieu soit sur vous ! Ne réalisez-vous pas l'horreur du crime dont vous vous êtes rendus coupables en décapitant le petit-fils de votre Prophète ? Nul doute que cet homme était un grand Saint ! Honte à vous, lâches ! Non contents de l'ignominie que vous avez commise, vous brutalisez des femmes sans défense et des enfants innocents !

Chamir, qui était déjà de fort mauvaise humeur d'avoir été réveillé en pleine nuit, fut pris d'un accès de rage. Il saisit son épée et, d'un coup, trancha la tète de l'ermite. Il n'eut pas le moindre respect pour les injonctions du Saint Prophète concernant la protection qui doit être accordée à ceux qui se retirent du monde et vouent leur existence à la prière et à la pénitence. Mais celui qui avait montré tant de mépris pour la vie du petit-fils du Prophète, pouvait-il accorder quelque importance aux Commandements de l'Envoyé de Dieu ?

***

Progressant à marche forcée, la caravane atteignit bientôt Damas. Elle fit halte devant les remparts qui ceinturaient la ville. Un messager fut envoyé au palais du Calife, pour recevoir les instructions de Yazid. Celui-ci avait été averti par Obeidoullah des incidents qui s'étaient produits à Koufa. Il avait juré prudent de ne pas dévoiler l'identité des captifs, et avait fait répandre la rumeur qu'un prince arabe s'était révolté contre son autorité, qu'il avait affronté son armée invincible et avait été défait, avec ses quelques partisans. Un crieur public confirma officiellement cette nouvelle, précisant que pour servir d'exemple les têtes des coupables avaient été tranchées et apportées devant le Calife, en même temps que la famille du prince félon. La journée d'aujourd'hui était proclamée jour de fête, pour célébrer la victoire du Commandeur des Croyants.

On décora la ville à la hâte, on prépara le festin offert au peuple, et tous les courtisans et les ambassadeurs en poste à Damas furent convoqués à la grande réception qui devait avoir lieu le soir même au palais. Pendant que les préparatifs battaient leur plein. les captifs attendaient. en plein soleil. Des groupes de curieux approchaient pour apercevoir les prisonniers qu'on menait au Calife. Le spectacle de ces femmes, et surtout des enfants, à moitié morts de faim et de soif, maigres à faire peur, enchaînés, couverts de poussière et de sang séché émut plus d'un témoin. Quelques-uns des curieux lancèrent aux enfants des dattes sèches, qu'on utilisait alors pour faire l'aumône.

Les malheureux enfants affamés se saisirent des dattes et s'apprêtaient à soulager leur faim, mais Zaynab et les autres femmes leur interdirent d'en manger une seule, et leur ordonnèrent de les renvoyer à ceux qui les lançaient. Zaynab, le visage toujours caché derrière ses cheveux, prit la parole :

- Je vous remercie de votre sollicitude envers nos enfants affamés. Mais nous sommes la Famille du Prophète, et l'Envoyé de Dieu nous a interdit de manger les aum6nes. En aucun cas il ne nous est possible de transgresser ses ordres.

Les gens étaient abasourdis d'entendre cette réponse. Ils ne savaient ce qui était le plus étonnant, du refus de laisser manger les enfants ou du fait que des membres de la Famille du Prophète soient captifs et dans un tel état. La rumeur s'enfla en ville, les interrogations et les suppositions allaient bon train.



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