LE SHIISME, PROLONGEMENT NATUREL DE LA LIGNE DU SAINT PROPHETE



«l'autorité directorial» (le pouvoir, le califat) des ahl-ul-bayt étant ainsi confisquée grâce à l'ijtihâd, il était difficile de laisser «l'autorité intellectuelle» (idéologique) à ses héritiers légitimes (ahl-ul-bayt); car cela aurait permis à ces derniers de trouver les conditions objectives qui les conduiraient au pouvoir, et de réunir ainsi pour eux les deux autorités. mais d'un autre côté, il était également difficile de conférer des exigences de l'exercice du pouvoir. en effet, reconnaître la compétence de quelqu'un pour diriger le pouvoir et appliquer les lois, ne signifie en aucun cas qu'on l'admette du même coup comme imam spirituel et autorité idéologique suprême (en matière de connaissance de la théorie islamique) après le coran et la sunnah prophétique. car cet imamat(73) spirituel et idéologique exige un haut degré de culture, de connaissances générales et d'assimilation de la théorie. or, il est évident que personne parmi les compagnons - les ahl-ul-bayt mis à part - ne pouvait y prétendre à titre individuel.

pour cela, la balance de l'autorité spirituelle restait oscillante pendant un certain temps. les califes continuèrent pendant longtemps à traiter avec alî en sa qualité d' «imam spirituel»(74), ou presque. aussi, le second calife, omar, répétait-il à plusieurs reprises: «sans alî, omar aurait péri. que dieu ne me confronte à un problème qui n'aie pas un abû-l-hassan(75)- l'imam alî- (pour le résoudre)(76)».

après la mort du prophète (p) et au fur et à mesure qu'on s'éloignait de cet événement, et que les musulmans s'habituaient peu à peu à considérer l'ahl-ul-bayt et l'imam alî comme des hommes ordinaires et des «gouvernés», on a fini par ignorer leur position de «haute autorité spirituelle». mais cette position ne pouvant pas être vacante, elle fut conférée, non pas au calife au pouvoir, mais à l'ensemble des compagnons. et l'autorité spirituelle d'ahl-ul-bayt n'étant plus de mise, celle de l'ensemble des compagnons, qui l'a remplacée, semblait d'autant plus conforme à la raison, que ceux-ci avaient longtemps côtoyé le prophète, vécu sa vie, son expérience, ses hadith et sa sunnah.

de cette façon ahl-ul-bayt ont perdu pratiquement leur privilège divin, leur primauté spirituelle, et furent réduits à une part de l'autorité spirituelle, en leur qualité de compagnon parmi les compagnons. et étant donné que les compagnons eux-mêmes étaient déchirés par des différends graves et des contradictions profondes qui les opposaient les uns aux autres et conduisaient parfois à des batailles, à l'effusion du sang, à l'atteindre à la dignité de l'adversaire, à des accusations réciproques de déviation t de trahison, il s'en est suivi que diverses contradictions doctrinales et idéologiques apparurent dans le corps de la ummah, comme reflet des diverses contradictions à l'intérieur de cette même autorité spirituelle qu'avait créée l'ijtihâd.

avant de terminer mon exposé, j'aimerais attirer l'attention sur un point dont l'explication revêt une tendance à scinder le chiisme en deux courants distincts: le chiisme spirituel et le chiisme politique, croyant que le premier est plus ancien que le second, et que, après la tuerie de karbalâ' où l'imam al-hussayn (p) fut assassiné, les imams d'ahl-ul-bayt (p), descendants de celui-ci, se sont désintéressés de ce bas-monde, ont renoncé à la vie politique et se sont consacrés à la prédication et aux pratiques cultuelles.

or, cette distinction ne correspond pas à la vérité, car depuis sa naissance, le chiisme n'a jamais été une tendance purement spirituelle. mieux, il est né tel que nous l'avons expliqué exactement lorsque nous exposions les circonstances de la naissance du chiisme - comme une thèse défendre la désignation de l'imam alî pour la poursuite de la direction spirituelle et sociale de la communauté islamique après la disparition du prophète.

il n'est pas donc possible, vu les circonstances précitées, de séparer l'aspect spirituel de l'aspect social dans la thèse du chiisme, pas plus qu'on ne peut faire une telle distinction dans l'islam lui-même. le chiisme ne pourrait faire l'objet d'une telle distinction que s'il était vidé de son contenu, c'est-à-dire de sa qualité de thèse visant à sauvegarder l'avenir de l'appel après le prophète. car pour sauvegarder cet avenir, l'expérience islamique avait besoin et d'une autorité spirituelle - idéologique, et d'une direction socio-politique.

en tant que successeur digne de poursuivre le rôle de ses trois prédécesseurs(77), à la tête du pouvoir, l'imam ali jouissait largement de l'allégeance des musulmans à son égard, allégeance qui l'a conduit effectivement au califat après l'assassinat du troisième calife, othmân. mais cette allégeance n'est ni chiisme spirituel, ni chiisme socio-politique, car le chiisme signifie: «la croyance à la thèse faisant de alî le successeur légitime direct du prophète, au lieu de trois califes qui l'ont précédé au pouvoir». elle est donc plus large que le vrai chiisme intégral, spirituel et socio-politique. c'est pourquoi, bien que le chiisme intégral fût développé dans le cadre de cette vaste allégeance, on ne saurait considérer celle-ci comme un exemple de chiisme partiel.

d'un autre côté, l'imam alî bénéficiait de l'allégeance spirituelle et idéologique d'un grand nombre de compagnons notables, tels salmân, abû tharr, ammâr et d'autres... à l'époque d'abû bakr et de omar. mais là encore, on ne peut appeler cette allégeance, «chiisme spirituel distinct du chiisme politique»; car elle n'exprime, en fait, que la croyance des dits compagnons, suivant laquelle la direction spirituelle et politique de l'appel revient à l'imam alî directement après le décès du prophète. alors que leur croyance à l'aspect idéologique de l'autorité(78) de alî s'était traduite par leur allégeance spirituelle précité, leur croyance à son aspect politique s'est matérialisé dans leur opposition au califat d'abû bakr et au courant qui a conduit à l'imam alî.

la vision fragmentaire d'un chiisme spirituel dissocié du chiisme social, n'est apparu effectivement et n'a pris naissance dans l'esprit du chiite que lorsque celui-ci s'est soumis à la réalité, et que la braise ardente du chiisme - cet attachement spécifique (du chiisme) à une direction islamique légale, chargée de poursuivre l'édification de la ummah après le décès du prophète et d'accomplir la grande opération de transformation entreprise par celui-ci - s'est éteinte en lui, et s'est transformée en une simple doctrine que l'on garde dans le coeur et dans laquelle on cherche espérance et consolation.



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