LE CHIISME



revenons au sujet de lappréciation de l'opération éducative menée par le prophète. dans ce domaine, nous devons tenir compte de ce qui suit:

1)- la courte durée pendant laquelle le prophète a pu exercer son action éducative. elle ne dépasse pas deux décennies, en ce qui concerne les rares compagnons qui l'ont accompagné dès ses débuts, une décennie, pour la plupart des partisans, trois ou quatre ans pour les très nombreux musulmans qui se sont convertis au message islamique à partir de la réconciliation de hudaybiyyah et en passant par la conquête de la mecque.

2)- la situation antérieure dans laquelle vivaient ces compagnons sur les plans intellectuel, spirituel, religieux et comportemental avant que le prophète nait entrepris son action missionnaire, la naïveté, la spontanéité et le vide qui caractérisaient les différents domaines de leur vie. on na pas besoin d'une explication supplémentaire de ce dernier point, car il est évident; si l'on tient compte que l'islam ne consistait pas en une action de changement superficiel dans la société, mais en une transformation radicale et une restructuration révolutionnaire d'une nouvelle ummah; c'est dire combien était profond le fossé moral qui séparait la situation antérieure à laction du messager et la situation nouvelle où il a entrepris son action.

3)- du fait que la période pendant laquelle le prophète diffusait le message était riche en événements, en luttes politiques et militaires sur différents fronts; c'est ce qui fait que la nature de la religion entre le messager et ses compagnons était différente de celle de la relation entre jésus christ et ses disciples, la première relation étant caractérisée par la position du prophète en tant qu'éducateur, commandant des campagnes militaires et chef d'état, la seconde par la position de jésus en tant que professeur et éducateur disponible et se consacrant à la formation de ses disciples.

4)- les incidences sur les musulmans, des confrontations qu'ils ont eues avec «les gens du livre» et avec les différentes cultures religieuses qu'ils côtoyaient. en effet, ce contact permanent entre l'islam et les idées que propageaient les adversaires du nouveau message, en l'occurrence les adeptes des cultures religieuses antérieures, constituaient une source d'inquiétude et de troubles constants, et ont conduit, comme on le sait, à la formation d'un courant de pensée israélite qui s'est infiltré, involontairement ou par malveillance, dans beaucoup de domaines de la pensée. il suffit de jeter un coup d'oeil scrutateur sur le noble coran, pour découvrir lampleur du contenu de la pensée contre-révolutionnaire, et combien la révélation prenait soin de la souligner et de réfuter.

5)- le but que le grand educateur (le prophète) poursuivait sur le plan général et pendant cette période était de former une base populaire saine avec laquelle la nouvelle direction du message pouvait traiter (de son vivant et après sa disparition) et poursuivre l'expérience islamique. le but (transition) du prophète à cette époque, n'était point damener la ummah au niveau où elle pouvait se charger elle-même de la direction de lappel, c'est-à-dire à un niveau où elle aurait assimilé parfaitement le message, en une connaissance jurisprudentielle profonde et intégrale de ses statuts (du message) et une fusion complète avec ses conceptions. la détermination du but pour cette période de la façon que nous venons de signaler, était tout à fait logique et s'imposait par la nature de laction de changement. car il n'était raisonnable de fixer un but que selon les possibilités pratiques existantes, et il n'y avait de possibilités pratiques dans un cas comme celui auquel était confronté l'islam, que dans les limites que nous avons soulignées, étant donné que le fossé moral, spirituel, intellectuel et social entre le nouveau message et la réalité corrompue qui prévalait à l'époque ne permettait pas d'élever la ummah au niveau où elle pouvait diriger elle-même, directement, le message. c'est ce que nous expliquons dans le point suivant pour démontrer que, soumettre la direction de l'expérience de la transformation à une régence assurée par l'imams dahl-ul-bayt et le califat de l'imam alî, était une nécessité qu'imposait la logique de laction révolutionnaire tout au long de l'histoire.

6)- une grande partie de la ummah, lors de la disparition du prophète, se constituait de ce qu'on appelle les musulmans de la conquête, c'est-à-dire ceux qui s'étaient convertis à l'islam après la conquête de la mecque et une fois que le nouveau message était le maître de la situation, politiquement et militairement parlant, dans la péninsule arabie. ces musulmans-là, le prophète na pu avoir que peu d'échanges avec eux, pendant la courte période qui s'étendait entre la conquête de la mecque et sa disparition. de même, ce peu d'échanges qu'il a eus avec les dits musulmans, il les a eus surtout en tant que gouvernant, en raison de la nature de la phase que traversait l'état islamique. c'est pendant cette phase que l'idée des «cours à rallier»(47) était apparue et a trouvé sa place dans la législation de la zakât et dans dautres domaines. or, cette partie de la umma n'était pas séparée de ses autres parties. au contraire, elle y était intimement liée, elle les influençait et en subissait les influences.

au vu de ces six points, nous pouvons constater que l'éducation prophétique était très fructueuse, qu'elle a réalisé une transformation inégalable et qu'elle a formé une génération répondant au but du prophète de constituer une base populaire, prête à entourer la direction de la nouvelle expérience et à la soutenir. c'est pourquoi on remarque que cette génération accomplissait bien son rôle de base populaire irréprochable tant que le prophète assurait la direction du message. et si cette direction avait conservé, après le décès du prophète, la voie que dieu lui avait tracée, la base aurait continué son rôle parfait. mais cela ne signifie en aucun cas que celle-ci était effectivement préparée à assurer elle-même la direction de la nouvelle expérience. car une telle préparation aurait nécessité chez cette génération plus de fusion spirituelle avec le message, plus de foi en lui, une plus large connaissance de ses prescriptions, ses conceptions et ses différents points de vue sur la vie, une plus grande épuration dans les rangs des musulmans afin de se débarrasser des hypocrites, des intrus et des éléments subversifs, et des «coeurs à rallier» (al-muallafa qulubulum) qui constituaient encore une grande partie de cette génération - que ce soit par leur nombre ou par les positions historiques qu'ils qu'ils occupaient - et exerçaient des influences dautant plus négatives que le noble coran le relate lorsqu'il parle des hypocrites, de leurs complots et de leurs attitudes. certes, cette génération comptait quelques très bons éléments tels que salmân, abû tharr, ammâr, etc. auxquels l'expérience islamique a pu donner une formation missionnaire d'un niveau sublime en les fusionnant dans son creuset. mais la présence de ces quelques très bons éléments parmi la vaste génération en question ne prouve pas que celle-ci ait atteint dans son ensemble le degré de formation qui justifie qu'on lui confie la mission de diriger lappel sur la base de chourâ.

même chez ceux qui ont atteint un haut niveau d'endoctrinement parmi cette génération, la plupart ne possédaient pas les qualités requises qui permettent de supposer leur aptitude missionnaire à diriger l'expérience sur le plan intellectuel et culturel, et ce malgré leur dévouement et leur attachement profond et sincère à l'islam. car celui-ci n'est pas une théorie humaine susceptible de se préciser intellectuellement avec la pratique et lapplication et dont les concepts peuvent se cristalliser à travers l'expérience. l'islam est, avant tout, un message divin dans lequel les prescriptions et les notions sont prédéterminées, et que dieu a pourvu de toutes les législations générales que l'expérience nécessite. pour diriger donc cette expérience il faut absolument assimiler toutes les limites et tous les détails du message, et avoir une conscience profond de toutes ses conceptions. autrement, on risquerait d'interpréter d'une façon personnelle ses axiomes et ses postulats, ce qui pourrait conduire l'expérience à subir des revers dans son cheminement, risque dautant plus grave que l'islam et le message divin final ou «le sceau des messages divins», et que de ce fait, il doit s'étendre à la longueur du temps et dépasser les limites de «temporel», du «régional» et du «national». c'est pourquoi, il ne faut pas que sa direction qui constitue le fondement de cette étendue, soit basée sur le principe de «l'essai et l'erreur», lequel principe comporte le risque de laccumulation des erreurs (à travers l'étendue du temps), et par conséquent de la naissance de failles et de l'écoulement de l'expérience.

on peut formuler les conclusion que nous venons de tirer, de la façon suivante: laction éducative que le prophète a exercée sur un plan général auprès des muhâjirine et des ançâr n'était pas de nature à préparer une direction consciente, intellectuelle et politique pour lavenir de lappel et la poursuite de l'opération du changement entrepris par le messager, mais à édifier une base populaire consciente, susceptible de soutenir la direction de lappel, du vivant du prophète et après sa mort.



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