L'HOMME ET LA FOI



peut-être objectera-t-on que la science est une force et une bonne orientation qui ne se limite pas au monde extérieur mais éclaire aussi notre monde intérieur, et qu'elle peut, par conséquent, changer notre contenu intérieur, recréer le monde et l'homme et jouer ainsi, outre son propre rôle: un rôle de foi.

cette objection est valable, mais la capacité et la force de la science sont celles d'une machine et dépendent de la volonté et des directives de l'homme. celui-ci peut, en effet, en se servant de la science, faire mieux dans tous les domaines. de là, la science est le meilleur secours de l'homme dans la réalisation de ses buts. il reste le problème des buts que la science, malgré tous ses développements et découvertes, ne peut changer.

l'homme possède, d'une façon infuse, des propriétés animales; quant aux qualités humaines, il les acquiert. c'est dire que les dispositions humaines apparaissent chez l'homme progressivement, grâce à la foi.

l'homme est poussé par sa nature à la réalisation de ses buts animaux et à la satisfaction de ses désirs personnels et individuels. il utilise, dans cette voie, tous les outils, y compris l'outil de la science. de là l'impuissance de cet outil à changer la marche de l'homme et à élever ses aspirations.

l'homme a besoin d'une force qui fasse se mouvoir les énergies humaines latentes, déclenche une révolution au plus profond de lui, et l'oriente dans une nouvelle direction. un tel changement ne peut se faire que par la foi en quelques valeurs et par la pénétration de ces valeurs. celles-ci sont le produit des tendances sublimes de l'homme, tendances qui émanent à leur tour d'une vision spécifique du monde et de la vie. cette vision ne peut être engendrée ni par les laboratoires, ni par le contenu des syllogismes et des inductions. c'est ce que nous allons voir plus loin.

la séparation entre la science et la foi a beaucoup nui à l'humanité. c'est du moins ce que l'histoire nous apprend et ce que nous constatons dans notre monde actuel.

lorsque la foi prévalut sans la science, les efforts humains s'orientèrent vers des questions stériles et conduisirent parfois au figement, au fanatisme, à la fossilisation et à des conflits banals et destructifs. l'histoire nous en offre de nombreux exemples.

de même, lorsque la science se développa loin de la foi, les énergies scientifiques s'orientèrent vers la satisfaction des sentiments de vanité, d'orgueil, et tendirent à l'hégémonisme, à l'exploitation, à la colonisation, à la ruse et à la tromperie. les deux ou trois derniers siècles pourraient être considérés comme les époques du culte de la science et de l'éloignement de la foi.

beaucoup de savants se sont imaginés, à un moment donné, que tous les problèmes de l'humanité pourraient être résolus par la baguette magique de la science. mais l'expérience aboutit à un tout autre résultat. ainsi, aujourd'hui, il ne se trouve pas un savant qui nie que l'homme ait besoin d'une sorte de foi, extérieure à la science, même s'il ne sagit pas d'une foi religieuse.

bertrand russell, bien qu'il fût de tendance matérialiste, a écrit: "le travail qui vise seulement un but lucratif ne mènent pas à un résultat utile, il faut effectuer un travail qui comporte la "foi" en quelqu'un, en une doctrine ou en un but"(11).



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