Le 'Irfân Ou la Gnose mystique



Les matériaux du ‘irfân musulman

Il est nécessaire, pour connaître toute science, d’étudier son histoire et les changements qu’elle a connus, et de savoir quels sont ses principaux ouvrages et ses figures de proue. C’est ce que nous allons faire dans le présent cours et le cours suivant.

La première question que nous devrions nous poser ici est : la gnose musulmane (‘irfân) est-elle pareille aux autres sciences islamiques  telles la jurisprudence (fiqh), les Fondements (uçûl), l’Exégèse (tafsîr), et le Hadîth, dont les Musulmans ont tiré la matière du fondement de l’Islâm pour ensuite les développer et édifier leurs règles ?  Ou bien elle est à l’instar de la médecine et des mathématiques, introduites en Islâm de l’extérieur et développées par les Musulmans au berceau de la civilisation islamique ? Ou bien encore si elle ne fait partie d’aucune de ces deux catégories ?

Les ‘urafâ’ eux-mêmes affirment qu’ils appartiennent à la première catégorie et récusent formellement la seconde, alors que certains orientalistes insistent que le ‘irfân et toutes ses subtiles idées sont venus de l’extérieur de l’Islâm. Tantôt ils l’imputent au Christianisme en affirmant que la pensée irfânite s’est développée au contact  des Musulmans avec les moines chrétiens, tantôt ils prétendent qu’il s’est formé par réaction des Iraniens à l’Islâm et aux Arabes, tantôt ils assurent  qu’il est le produit du néoplatonisme, lequel est un mélange des pensées d’Aristote, de Platon, de Pythagore (Pythagoras), des Gnostiques d’Alexandrie ainsi que des idées des Juifs et des Chrétiens, et tantôt le considèrent comme étant issu des pensées du bouddhisme. D’autre part, les détracteurs du ‘irfân du côté des Musulmans, se déployèrent eux aussi à montrer qu’il est, comme le soufisme, étranger à l’Islâm et à lui rechercher des racines non islamiques.

Le troisième avis considère que le ‘irfân – aussi bien théorique que pratique- a tiré ses matières premières de l’Islâm et qu’il a ensuite posé à ces matières des règles et des fondements, tout en subissant les influences de courants non islamiques – notamment dans ses pensées kalâmites (théologico-apologétiques) et philosophiques- tout spécialement la philosophie ishrâqite (illuministe). Toutefois, si selon cet avis il ne fait pas de doute que le ‘irfân musulman a tiré sa matière fondamentale exclusivement de l’Islâm, il ne reste pas moins que des interrogations s’imposent : Dans quelle mesure les ‘urafâ’ ont-ils réussi à poser les règles et les fondements corrects à cette matière première islamique? Si oui, leur succès dans ce domaine serait-il comparable à celui des jurisconsultes? Quelle a été la somme de l’influence exercée par les courants extérieurs sur le ‘irfân islamique? Le ‘irfân a-t-il pu attirer ces influences extérieures vers lui en les revêtant de sa couleur et en s’en servant  à son intérêt? Ou bien si au contraire ce sont ces courants qui l’ont entraîné dans leur sillage et en l’amenant à marcher dans le sens de leur cours? Ce sont là des interrogations auxquelles on devrait chercher des réponses à travers des recherches objectives indépendantes.

Les tenants du premier avis – et dans une certaine mesure du second avis- affirment que la religion musulmane est dépouillée de complications, et compréhensible pour le commun des mortels, car elle n’est pas teintée d’équivoque ni entourée de mystères. Pour eux, le fondement doctrinal de l’Islâm est l’unicité, dans ce sens que, de même qu’une maison a un architecte ou constructeur séparé et différent d’elle, de même le monde a un Créateur séparé de lui, et que du point de vue islamique, le fondement du lien de l’homme avec ce bas-monde est l’abstinence et l’abandon des plaisirs de ce dernier pour parvenir à la félicité et à la vie éternelle.  Et si on va encore plus loin, on trouve une série de statuts légaux pratiques dans ce sens que la jurisprudence islamique se charge d’expliquer.

Ce groupe pense que ce que les ‘urafâ’  disent à propos de l’Unicité est différent de ce que l’Islâm enseigne à ce sujet, car l’Unicité ‘irfânite consiste en l’unicité de l’existence, et qu’il n’existe rien en dehors d’Allâh, de Ses Noms, Ses Attributs et Ses Manifestations, et affirme que "le cheminement (sayr) et la conduite (sulûk)" des ‘urafâ’  diffèrent aussi du mysticisme (zuhd) musulman, car ils évoquent dans "leur cheminement et leur conduite" (leur voyage spirituel) une série de concepts et termes –tels que ‘eshq (le désir ardent) et l’amour d’Allâh, annihilation mystique (fanâ’) en Allâh, la manifestation d’Allâh (théophanie) dans le cÅ“ur du ‘irfâni, ce qui n’a pas d’existence dans l’ascétisme musulman. En bref, il voit que la méthode ‘irfânite diffère de la charia islamique en ceci qu’elle sous-tend des conceptions qui n’ont rien à voir avec la jurisprudence musulmane et que les Compagnons pieux du Messager d’Allâh (P) auxquels se réfèrent les ‘urafâ’  et les soufis et qu’ils disent suivre n’étaient que des ascètes détachés des attraits de la vie d’ici-bas, et tournés vers le Monde futur (âkherah) avec des cÅ“urs craignant le Châtiment d’Allâh et aspirant à Sa Récompense;  ils ne savaient rien du «cheminement et de la conduite Â» et de « l’unicité Â» irfânites.     

En réalité, le jugement ainsi émis par ce groupe sur le rapport du ‘irfân à l’Islâm n’est aucunement acceptable, car les matières premières de l’Islâm sont nettement plus riches et plus profondes que ne présument – par ignorance ou intentionnellement- les tenants dudit groupe. Ni l’Unicité islamique n’est aussi simple et creuse qu’ils le laissent entendre ni la dévotion de l’homme en Islâm ne se réduit à cet ascétisme superficiel qu’ils supposent, ni les pieux Compagnons du Prophète (P) ne sont comme ils les décrivent, ni les statuts légaux de l’Islâm ne se bornent aux actes des membres et organes de l’homme.

C’est pourquoi, dans le présent cours, nous allons essayer de démontrer la possibilité de recourir aux enseignements islamiques authentiques pour parvenir à une série de connaissances relatives au ‘irfân théorique et pratique. Quant à savoir jusqu’à quel point les ‘urafâ’  musulmans ont réussi à se servir correctement de ces enseignements, c’est une autre question dont nous ne pourrons pas traiter dans ces cours concis.   

Ainsi, concernant l’Unicité, le Coran ne compare pas le rapport Allâh-créatures au rapport architecte-maison, mais Le (le Très-Haut) présente comme étant le Créateur de l’univers et se trouvant partout et avec toute chose, comme en témoignent les versets suivants par exemple- entre bien d’autres- : « Où que vous vous tourniez, la Face (direction) d'Allâh est donc là, car Allâh a la grâce immense; Il est Omniscient Â»[9][9], « et que Nous sommes plus proche de lui que vous [qui l'entourez] mais vous ne [le] voyez point. Â»[10][10], « C'est Lui le Premier et le Dernier, l'Apparent et le Caché et Il est Omniscient. Â»[11][11].



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