Le 'Irfân Ou la Gnose mystique



En outre, les ‘urafâ’ ont un autre motif qui les amène à utiliser des termes techniques propres à eux. Ils prennent soin particulier de dissimuler leurs réelles intentions aux profanes et aux non-initiés qui n’arrivent pas à comprendre les concepts ‘irfânites (gnostiques). En effet, Abû-l-Qâcim al-Quchayrî, l’un des imâms des ‘urafâ’ a déclaré dans son al-Risâlah al-Quchayriyyah que les ‘urafâ’ s’ingénient à utiliser des mots équivoques et ambigus pour barrer la route aux non-‘urafâ’ et les empêcher d’être au fait de leurs conditions, leurs états et leurs destinations[53][53].

En plus de ces deux raisons, il y a un troisième motif qui complique les choses (la compréhension de leurs dires) et qui pousse certains ‘urafâ’ à avoir recours à «l’hypocrisie positive» dans leur cheminement et leur conduite (leur voyage spirituel) pour réformer leur fond aux dépens de leur réputation auprès des gens. Ainsi, contrairement à un vrai hypocrite qui présente l’orge qu’il vend comme de bon blé, ils s’efforcent de présenter leur blé comme de l’orge afin de combattre leur égoïsme et leur moi. Et lorsqu’ils mettent en avant leur indifférence et leur insouciance, c’est vis-à-vis des créatures qu’ils le font et non du Créateur.

On attribue cette attitude à la plupart des ‘urafâ’ de Khorâsân (une province d’Iran), et on dit que le grandissime poète iranien Hâfidh faisait lui aussi partie de ce courant, car dans ses poèmes il a dit beaucoup de choses qui dénotent dans leur apparence ce qui est  répréhensible, alors qu’elles expriment dans son for intérieur des concepts positifs.  Néanmoins, Hâfidh a reconnu ailleurs que feindre la débauche est le frère jumeau de feindre la piété, car l’une et l’autre feintes sous-tendent une hypocrisie détestable.

Au fait cette pratique que des ‘urafâ’ ont adoptée, est condamnée par les faqîh (jurisconsultes, ulémas). En effet, la jurisprudence musulmane (fiqh) de même qu’elle interdit l’hypocrisie et la considère comme une sorte de polythéisme, de même elle prohibe la feinte de la débauche et énonce : un croyant n’a pas le droit de s’exposer et d’exposer son honneur et sa position sociale au soupçon. Ce que beaucoup de ‘urafâ’ approuvent aussi.

En un mot, certains ‘urafâ’ ont expressément feint le contraire de la bonne foi qu’ils ont au fond d’eux-mêmes, ce qui a compliqué encore plus la compréhension de leurs intentions.

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Les termes techniques utilisés par les ‘urafâ’ sont nombreux. Certains d’entre eux appartiennent à la gnose théorique c’est-à-dire la vision cosmique de la gnose et l’interprétation de l’existence par les ‘urafâ’. Tels termes techniques ressemblent à ceux des philosophes et sont des néologismes extrêmement difficiles à comprendre[54][54], et forgés, du moins pour la plupart, sinon dans leur totalité, par Ibn ‘Arabî.

L’autre partie de ces termes techniques s’apparente au ‘irfân pratique, c’est-à-dire aux étapes (ou stades) du voyage spirituel[55][55] et concerne obligatoirement à un haut degré l’homme. Ils ressemblent donc aux concepts de la psychologie et de l’éthique, et elle constitue en réalité une sorte particulière de la psychologie expérimentale. Aussi les ‘urafâ’ estiment-ils que même les philosophes, les psychologues, les sociologues ou les uléma – et a fortiori les profanes ou les non-initiés- qui n’ont pas emprunté tels sentiers (les étapes du voyage spirituel) ni vécu de près les états de l’âme, ni étudié leurs phénomènes n’ont le droit d’y porter des jugements!

Toutefois, ces termes techniques du ‘irfân pratique, contrairement à ceux du ‘irfân théorique- sont anciens et remontent au 3éme siècle de l’hégire, c’est-à-dire à l’époque de Thû-l-Nûn, Bâyazîd et al-Junayd.

Voici quelques-uns de ces termes mentionnés par al-Quchayrî et d’autres :



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