LA QUESTION DE L'IMAMAT



Ce qui, ici, constitue la condition de la prise en main des affaires est la capacité et la compétence dans l'art de gouverner, afin que les peines légales soient appliquées aux coupables, que les atteintes aux droits des gens soient prévenues et empêchées, ainsi que toutes les vélléités d'injustice de toutes sortes. D'autre part, il devra être capable, par le moyen de la force militaire, d'assurer la défense des frontières du territoire islamique contre toute agression, et de lutter contre les déviations et l'athéisme lorsque les moyens de la perscrasionne suffisent pas.

De ce point de vue, si le gouvernant n'a pas le savoir nécessaire en matière religieuse, ou encore s'il transgressait lui-même les règles de la piété, et qu'il se rendait coupable de péchés et de vices, cela ne serait pas grave.
En fait, seul peut prétendre au titre de successeur du Prophète celui qui peut assumer toutes les charges qui lui incomberaient. Dans ces conditions, il ne sera plus possible pour un tyran de régner sur la société musulmane, en foulant aux pieds les droits des gens, et en faisant couler leur sang en employant la violence. Un tel homme ne tolérerait aucune opposition, et imposerait l'obéissance de tous.

C'est sur une telle vue des choses que s'appuie un grand savant sunnite, en parlant du calife.
"Un calife ne doit jamais être écarté du pouvoir pour avoir foulé aux pieds les ordres divins, et porté atteinte aux biens des personnes, ou tué et massacré d'autres, ou pour avoir suspendu les droits des gens ou les lois divines; mais il incombe à la "Ummat" (communauté islamique) de corriger ses déviations et de le guider vers le droit chemin."1
Dans une telle ambiance, comment des réformateurs pourraient surveiller en permanence le comportement des dirigeants corrompus, et réagir à chaque fois de façon adéquate, et écarter la déviation? Un simple conseil peut-il suffire à dissuader un gouverneur de persévérer dans son erreur?

* * *

Si vraiment Dieu avait voulu que le sort de la communauté musulmane tomba entre les mains de gouvernants incapables, injustes et tyranniques, il n'y aurait eu aucune nécessité d'envoyer un prophète, ni de révéler les prescriptions nécessaires à l'édification de la société musulmane.
Peut-on dire que tous ces hommes épris de liberté qui se sont opposés aux tyrans au cours des siècles avaient agi contre la volonté de Dieu?

Un intellectuel sunnite, le Dr Abdel aziz al-Dowri écrit:
"Au moment où se consolida la souveraineté du califat, la théorie politique des sunnites -à ce sujet- ne s'appuyait pas seulement sur le Coran et le Hadith, mais aussi sur le principe du commentaire et de la justification du Coran et de la Tradition conformément aux faits et évènements qui ont suivi. Dans cette optique, toutes les générations ont exercé leur part d'influence sur la formulation de la théorie du califat qui était renouvelée et mise au goût du jour par chaque génération. Un exemple frappant nous est donné par le Qâdi Abou-l-Hassan Mâwardi, qui fut le chef de l'appareil judiciaire du Calife. Dans son ouvrage célèbre "Al-Ahkâm al-Sultâniyya", il traite de la question du califat. Bien que vivant à une époque de décadence du califat, il consacra tout son effort intellectuel à montrer que les opinions de ses prédécesseurs parmi juristes étaient parfaitement conformes aux pratiques de son temps. Il ne fit montre d'aucune originalité, ni de liberté de pensée. Voici un extrait de ce qu'il écrivit:

"Il est légalement permis qu'un homme soit à la tête du califat sans en avoir les qualités requises, même s'il existe un autre homme qui en remplit les conditions; et si un homme a été choisi, on ne peut pas l'écarter du pouvoir pour la raison qu'il existe un autre plus compétent et meilleur que lui."
Il confirme ainsi ce principe et se fonde sur lui, pour justifier le règne de nombreux califes non qualifiés pour diriger les musulmans. Il avait aussi peut-être l'intention de réfuter la conception politique du chi'isme. Nous voyons cependant que les opinions théologiques qu'il a discutées, ne visaient à rien d'autre qu'à convaincre les sunnites que les décisions du calife de leur temps étaient justifiées; et la notion de "consensus" (ijmâ') était abusivement exploitée."2

Tels sont les fondements intellectuels de ceux qui se disent les partisans de la Tradition prophétique, les gardiens de la religion et de la Chari'a.

Quant aux penseurs de l'islam et aux réformateurs de la société, les partisans des Imams de la justice, les preuves de Dieu, les guides de la Création, ils sont appelés "hérétiques" (râfizi), et déserteurs de la tradition du Prophète de Dieu.

Qu'adviendrait-il de la religion de Dieu si le droit était reconnu à des gouvernants tout à fait étrangers à l'esprit de l'islam et foulant aux pieds les lois célestes, de prendre la direction des affaires des croyants, et si ces derniers se voyaient contraints de leur obéir en tout?

Peut-on alors penser que la fidélité à la Loi prophétique se résume à cela? Une telle façon de penser n'aurait-elle pas comme seul résultat de reconnaître officiellement le droit illimité des tyrans et des oppresseurs?



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