Livre sur l'Imam Hassan (A.S)Ces deux exemples, quelque soit leur véracité ou exactitude documentaire, mettent en lumière, selon l'unanimité des historiens, d'une part le type de soldats que Mu'âwiyeh et ses acolytes s'employèrent à former, et d'autre part la différence de conception de l'Etat islamique chez l'Imam 'Alî, incarnation du Califat-Bien-Dirigé et chez Mu'âwiyeh, l'architecte du "royaume temporel". Le message de Mu'âwiyeh à l'Imam 'Alî était clair et significatif: les soldats dont il se prévalait et qui ne savaient distinguer le "Vrai" du "Faux", le "Bien" du "Mal", tels que les a définis l'Islam, annonçaient la fin d'une époque et la naissance d'une autre dans laquelle les Musulmans pieux n'avaient d'autre alternative que celle-ci: soumission ou exclusion: «Chaque fois qu'une contestation s'élevait, souligne encore A. M. al-'Aqqâd, »Mu'âwiyeh s'appliquait à l'étouffer par un moyen approprié. Si elle venait d'un homme corruptible, il se montrait généreux envers lui, et s'il s'agissait d'un croyant pieux et sincère, il s'arrangeait par la ruse pour le proscrire de Damas. Un jour Abou Thar al-Ghifari, exaspéré par l'excès de bien-être et d'aisance dans lequel commençaient à vivre les notables et la haute classe, lança un cri d'indignation et se mit à réclamer aux riches de dépenser pour la cause de Dieu en leur rappelant cet avertissement coranique: "Annonce un châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent l'or et l'argent sans rien dépenser dans le chemin de Dieu, le jour où ces métaux seront portés à incandescence dans le feu de la Géhenne et qu'ils serviront à marquer leurs fronts, leurs flancs et leurs dos". Ce cri d'indignation qui suscita l'enthousiasme des pauvres et l'indisposition des nantis alarma Mu'âwiyeh. Aussi ce dernier envoya par un émissaire mille dinars à Abou Thar dans l'espoir de le faire taire. Or dès le lendemain toute la somme fut distribuée aux nécessiteux. Mu'âwiyeh décida alors d'acheter le silence d'Abou Thar en le mettant dans l'embarras. Il renvoya son émissaire pour lui dire sur un ton faussement innocent: "Ô, épargne-moi du courroux de Mu'âwiyeh, car la somme que je t'avais apportée, était destinée en réalité à quelqu'un d'autre. Je me suis trompé de destinataire!". Abou Thar lui répondit: "Par Dieu je n'ai plus un sou de tes dinars. Donne-moi un délai de trois jours pour que je puisse réunir la somme et la restituer." Mu'âwiyeh comprit qu'Abou Thar n'était pas homme à être acheté. Aussi demanda-t-il au Calife ('Othman) de lui permettre de le bannir de Damas à Médine. Le Calife acquiesça. Mais à Médine, Abou Thar, ayant récidivé, fut déporté vers un village où l'on ne pouvait pas l'entendre».[145] Cet exemple qui ne traduit vraiment ni l'étendue de la déviation amorcée par les Tulaqâ' sous le 3e Calife ni l'ampleur de la répression sauvage et de crimes de sang qu'ils ont perpétrés contre des Compagnons pieux tel que 'Ady Ibn Hojr... est pourtant significatif à double titre: 1- Il montre d'une part qu'à peine quelques dizaines d'années après la disparition du Prophète, Mu'âwiyeh et ses semblables qui tenaient en mains la barre de l'Etat islamique, ne toléraient guère qu'on prêche le respect de l'esprit et de la lettre du Message et l'observance stricte des enseignements du Coran et des Traditions du Messager. 2- Il montre d'autre part que si Mu'âwiyeh s'était offusqué du rappel d'Abou Thar d'un avertissement coranique adressé à ceux qui "thésaurisent"... au point de le proscrire, c'était parce que ce dernier s'était attaqué au point sensible des Tulaqâ' et à leur arme suprême de corruption: l'enrichissement des notables et de la classe dirigeante en général, des Tulaqâ' eux-mêmes en particulier, enrichissement devenu sous 'Othman un signe des temps et un facteur important du passage de l'ère du Califat-Bien-Dirigé à l'ère du royaume temporel. 'Abbas Mahmoud al-'Aqqâd écrit à ce sujet: «Selon al-Mas'ûdi, les Compagnons acquirent sous le 3e Calife, des domaines et de l'argent. Ainsi, le jour de l'assassinat de 'Othman on a découvert dans sa caisse cent mille dinars et mille mille dirhams; la valeur de ses domaines dans Wâdi al-Qurâ, Hanîn et ailleurs se montait à plus de cent mille dinars et ce, sans parler du grand nombre de chameaux et de chevaux qu'il avait laissé (...)».[146] Al-'Aqqâd ajoute ailleurs:
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