BILAL d'AFRIQUEIl va de soi que les souffrances de Bilâl étaient indescriptibles dans ces lieux ténébreux, humides, jonchés de saletés de bêtes et dégageant des odeurs nauséabondes, dans lesquels Omayyah l'avait assigné. Parfois Omayyah ordonnait que les pieds de Bilâl soient attachés avec une corde dont il donnait le bout aux enfants pour qu'ils courent en traînant Bilâl. C'était un jeu amusant pour les petits qui s'ingéniaient à le traîner de tous côtés, allant de droite à gauche, tournant en rond, en avant et en arrière. Les enfants jetaient sur lui des pierres et du sable comme pour l'inciter à se laisser traîner, et Bilâl essayait de se relever pour pouvoir les suivre mais retombait tout de suite à cause de la corde qui serrait fort ses pieds ensanglantés. Le sang avait beau couler tout le long de son corps, personne ne s'apitoyait sur son sort. Bilâl se sentait totalement abandonné et il ne pouvait rien espérer de personne. Son maître! Un homme impitoyable, aveuglé par sa haine envers la nouvelle foi et ceux qui osaient l'épouser. Quant aux autres esclaves, ils étaient tellement terrorisés par l'attitude sauvage de Omayyah qu'ils n'osaient même pas penser à lui venir en aide. Autour de Bilâl tout était noir et aucune lueur d'espoir n'apparaissait à l'horizon. Pourquoi toute cette haine, tout cet acharnement? Pourquoi fallait-il souffrir autant pour sa nouvelle croyance? Lui qui était si apprécié de son maître et de ses semblables, pourquoi devait-il être honni, battu, torturé, abandonné, alors qu'il n'avait fait de mal à personne? Pourquoi devait-il subir toute cette violence pour avoir ouvert son coeur et son esprit à une foi qui recherchait le bien-être de toute l'humanité? Ce qui le déconcertait le plus, c'était l'incapacité des gens à comprendre que le Message de Mohammad (P) était révélé pour les sortir des ténèbres dans lesquelles ils sombraient. Cette situation lui causait tant de serrements de coeur et de tourments dans l'âme qu'il en oubliait les douleurs physiques, pourtant insupportables, de ses blessures et plaies qui ne cessaient de s'aggraver. Un homme normalement constitué aurait déjà succombé depuis longtemps à un tel traitement. Comment parvenait-il donc à supporter ces douleurs physiques ainsi que les tortures infligées à son âme? Pour satisfaire son maître et mettre un terme à ses souffrances, il lui aurait suffi de prononcer du bout des lèvres quelques mots de regret. Après tout, ne voit-on pas, même de nos jours, des accusés qui sous la torture ou même tout simplement sous la pression psychologique, avouer des crimes qu'ils n'ont jamais commis, prêts à accepter la prison uniquement pour mettre un terme à l'état d'incertitude et de tourments dans lequel on les a mis. Sa rencontre avec le Prophète (P) avait complètement transformé Bilâl. Une force ainsi qu'une totale quiétude l'habitaient depuis son attachement à la nouvelle Foi. Il pouvait résister à toutes sortes de pressions physiques et mentales. De plus, sa perception du monde avait changé, il avait enfin compris le sens de la vie, de la mort. Dès lors rien dans ce monde éphémère ne pouvait l'impressionner, ni perturber la tranquillité de sa conscience. Il avait découvert la Voie d'Allah le Tout-Puissant et depuis il voyait tous les tyrans, nantis et oppresseurs de ce monde comme des nains falots et impuissants. La Fermeté et le Sacrifice Ainsi le plan diabolique de Omayyah ne parvenait pas à mettre à genoux cet Africain devenu fier et déterminé. Il supportait la douleur et sa condition difficile avec patience, ayant l'intime certitude qu'Allah lui trouverait la meilleure issue s'il savait patienter. Chaque fois qu'il était soumis à la torture, l'homme libre d'Afrique dirigeait son attention vers le ciel et murmurait quelques récitations et prières dont les effets sur son âme et son esprit étaient immédiats. Il devenait ainsi indifférent à la douleur et à la pression. Plus ses difficultés et ses tourments augmentaient, et plus sa dévotion et sa foi s'affermissaient. Certes les blessures et la faim le faisaient crier et gémir, mais son âme restait intacte et éclairée. Ce qui encourageait Bilâl , qui se sentait comme un porte-drapeau de la liberté, à endurer et à patienter, c'était son désir de montrer à la poignée de Musulmans valeureux la nécessité de rester fermes sur le chemin de leur foi, de ne pas quitter le champ à la suite d'une promesse ou d'une menace, ni être intimidés par les vociférations des ivrognes. La fermeté et la résistance de Bilâl finirent par mettre son maître hors de lui, et fort mal à l'aise. Il voulait absolument le faire plier ou l'anéantir. Il pensait: «Comme cet esclave est obstiné! Que faire? Je l'ai torturé autant que faire se peut. Il n'est pas prêt d'abandonner sa mauvaise pensée et sa foi erronée! Alors, je jure par al-Lât et al-'Uzzâ qu'il devra mourir sous la torture. Je ferai en sorte qu'il soit enterré sous le sable avec tous ses idéaux».
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