BILAL d'AFRIQUE



Ô! Ô! Je brûle

Constatant que rien ne pouvait avoir raison de la résistance de Bilâl, Omayyah décida de chauffer au rouge une barre de fer et de l'enfoncer dans la cuisse de Bilâl.

Bilâl était étendu à terre, une grande pierre sur sa poitrine l'empêchait de voir ce que l'on était en train de faire avec sa jambe. Il voyait seulement Omayyah et ses hommes chauffer une barre de fer et l'apporter vers lui. Il sentit subitement que sa jambe était en feu. Il avait l'impression que des flammes avaient pénétré son corps et qu'il était en train de brûler vif. Alors qu'il était sur le point de perdre connaissance, il cria impuissant: «Ô! Je brûle! Je brûle!». Et puis plus rien. Son corps inerte fit penser aux gens présents qu'il était mort.(24)

Un silence lugubre s'empara du désert. Toute l'assistance fut prise de malaise. Même le soleil donnait l'impression de s'émouvoir devant cette scène macabre. Le visage de Omayyah devint à la fois blême et sinistre. Il avait l'air de regretter ce qu'il venait de faire.

Pour Bilâl, le temps passait lentement. ہ plusieurs reprises, il sembla reprendre conscience, gémissant de douleur. Sa respiration était lente, comme un mourant. Le teint blanchâtre, incapable de bouger, l'énergie lui manquait pour parler. Mais quiconque s'approchait de Bilâl, pouvait constater qu'il se plaignait à voix basse à Allah. Finalement il parvint à ouvrir la bouche et avec difficulté il murmura très lentement: «Ahad (Allah est Un)», puis il sombra à nouveau dans l'inconscience.

Ce mot prononcé d'une voix à peine audible, déchira pourtant le silence qui régnait dans le désert. Toute l'assistance soupira en signe de soulagement. Quelques minutes plus tard, il rouvrit les yeux, les promena sur l'assistance pour finalement les fixer sur son impitoyable maître à qui il dit sur un ton ironique: «Crois-tu que ma foi est cachée dans la chair de ma cuisse, pour que tu t'acharnes à la brûler au fer rouge, espérant ainsi la détruire et en chasser l'amour d'Allah l'Unique? Penses-tu que la Foi en Allah et l'attachement à Lui se dissimulent dans mon corps pour que tu t'appliques tant à le torturer dans l'espoir de les y tuer? Non, non! Détrompe-toi. La foi en Allah et en son Prophète a pénétré au plus profond de mon être et l'amour du Créateur a pris racine au fond de mon âme. Tu ne peux pas les en sortir, ni les détruire avec ces chaînes et ces coups de fouet. Non, sois certain que tu ne pourras me défaire de ma foi , ni l'affaiblir par cette cruelle torture».

Omayyah resta bouche bée, interloqué par l'attitude inouïe et surréaliste de Bilâl. Il était encore sous le choc du spectacle épouvantable qu'il avait mis en scène. L'odeur nauséabonde de la chair grillée de Bilâl et la fumée âcre qui s'en dégageait, les hurlements déchirants et les crispations douloureuses de son visage horrifiaient même l'âme la plus insensible. Comment cet homme agonisant, martyrisé, accablé et enchaîné pouvait-il encore ne se soucier que de sa foi et trouver le courage de défier son maître? Pour lui tout ceci était inimaginable, d'autant plus inimaginable qu'il s'agissait d'un esclave devant être sans volonté, sans âme et sans esprit, un animal dressé pour exécuter les ordres de son maître, penser comme lui et croire en ce qu'il croit. Cet homme n'était donc plus le Bilâl qu'il avait connu! Il s'était transformé. Mais qu'est-ce que cette religion de Mohammad (P) avait de particulier pour pouvoir changer de la sorte un être effacé en une personne dotée d'une volonté invincible?

La perspective de voir la nouvelle religion opérer une telle transformation dans les esprits et la crainte que ce changement ne mette fin aux privilèges illégitimes dont jouissaient Omayyah et ses semblables, arrachèrent du coeur  de celui-ci le brin de pitié et de regret qu'il avait eu l'air d'éprouver lorsqu'il avait mis à feu et à sang le pauvre corps de Bilâl.

Pour les esclavagistes de jadis, tout comme pour les colonialistes d'hier et les néocolonialistes d'aujourd'hui, les manifestations de pitié, les apparences de justice et les semblants de sentiment humain, n'ont pas de place lorsque les intérêts et les privilèges des possédants sont menacés.

Omayyah décida donc de mener jusqu'au bout sa logique meurtrière. Bilâl devrait mourir sous la torture ou abdiquer sa foi.



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