LES RECITS DU CORAN* * * La valeur de l'art romanesque s'affirme ici clairement, lorsque nous réalisons que le récit décèle de lui-même et sans le concours des textes de tafsîr, ses traits artistiques à travers le mode de présentation des héros et de leur façon de penser, de telle sorte que le lecteur puisse en induire plus d'une signification, même sans avoir recouru à l'exégèse. Tout lecteur averti que l'expérience lui a appris à apprécier une oeuvre romanesque, peut, sans trop de peine, conclure que nos héros n'ont pas prononcé la parole «Nous vous nourrissons ... etc», «Nous redoutons de la part de notre Seigneur ...», puisque rien dans le récit ne justifierait le contraire. Ainsi, les trois indigents étaient venus l'un après l'autre et non en même temps, ni ensemble pour qu'on ait pu leur adresser les propos en question à la troisième personne du pluriel; de même, les trois démunis qui ne possédaient pas, de toute évidence, de quoi nourrir les autres, ne se trouvaient donc pas en situation qui permette qu'on leur adresse le prêche contenu dans le monologue. Pour toutes ces raisons et d'autres, la parole adressée à leur intention ne peut être, sur le plan de la technique romanesque, qu'un monologue intérieur et non un élément de dialogue avec l'indigent, l'orphelin et le captif. Mais la question qui se pose maintenant est pourquoi le récit a-t-il utilisé ici l'élément de dialogue, et ne l'a pas fait à propos de l'énonciation du thème de la "tenue de la promesse" alors que les deux cas traduisent une même situation: la relation des héros s'est limitée à Allah et à personne d'autre? * * * A notre avis, le récit vise à attirer notre attention sur l'importance de l'offre de nourriture ou de toute attitude qui porte intérêt à autrui, par amour pour Allah et non dans l'intention d'attirer pour soi l'estime ou la gratitude. Dès lors un tel acte requiert une formation intérieure ou mentale de l'intention (et non une extériorisation ou une déclaration de cette intention), qui naît et se meut dans le cadre des sentiments. En outre, lorsque le récit laisse les personnages eux-mêmes présenter dans leur langage leurs sentiments, il crée un grand effet chez lecteur, effet qui le conduit à réformer sa conduite et à vivre avec une telle vérité en se la répétant au fond de lui-même chaque fois qu'il accomplit un acte de bienfaisance envers autrui, en dialoguant avec lui-même: «Je l'ai fait pour Allah» ou en adressant sa pensée, mais sans la traduire en paroles prononcées, aux bénéficiaires de son acte de générosité: «J'ai fait cela pour plaire à Allah et non à vous». Dans notre vie quotidienne, nous formons mentalement de milliers de pensées sans en parler à personne. Bien plus, la pensée elle-même est un langage non prononcé. L'importance de la transmission des pensées aux autres à travers le monologue intérieur est très familière aux lecteurs du "roman psychologique" moderne, qui s'est développé dans la troisième décennie de notre siècle, et qui accorde une telle importance ou place au monologue intérieur, que celui-ci constitue parfois la quasi-totalité du tissu du roman.
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