LES RECITS DU CORANMais selon certains exégètes, l'énoncé «nous sommes égarés» est à prendre ici au sens propre et non figuré, c'est-à -dire que, les héritiers n'en croyant pas leurs yeux en voyant le verger ravagé, doutaient qu'il s'agisse de leur verger et pensaient avoir, peut-être, perdu leur chemin. Cependant, malgré ce doute, l'un d'entre eux a rectifié, comme si, n'étant pas convaincu que le verger brûlé soit un verger autre que le leur, l'idée de la vengeance divine lui sauta à l'esprit, en s'écriant: «non, nous sommes privés» des fruits de ce verger, ayant omis de tenir compte de la Volonté divine et ayant pensé à interdire aux pauvres leurs subsistances. Le texte du récit nous a permis de percevoir nous-mêmes, nous les lecteurs, les sentiments de ceux qui ont reconnu leur culpabilité et l'ont avouée de leurs propres bouches, à travers le dialogue au pluriel, dans cette partie du récit. En fait, cet aveu de culpabilité joue un rôle important, comme technique romanesque, dans la mesure où il nous permet de connaître le fond de ce personnage. C'est ce que nous verrons plus loin. En outre, le dialogue au pluriel a révélé d'autres éléments importants en nous faisant découvrir davantage d'aspects qui nous échappent dans la conduite des personnages. En effet, le lecteur ou l'auditeur pense de prime abord que tous les personnages étaient d'accord entre eux sur la décision de priver les pauvres, ainsi que sur le serment: «ils avaient juré sans faire de restriction».[141] Cette pensée (que tous les héritiers, sans exception, étaient d'accord) ne s'est pas formée fortuitement dans l'esprit du lecteur. Ce sont les trois premières parties du récit qui l'ont suggérée, puisque'elles parlent des "gens du verger" sans en excepter aucun. Et c'est la quatrième partie du récit qui nous dévoile un nouveau secret jusqu'alors caché: «Ne vous avais-je pas avertis: "Si seulement vous aviez rendu gloire à Dieu».[142] Donc l'un des héritiers n'était pas content, dès le départ, de la conduite de ses frères; mieux, il leur a même conseillé: «Si seulement vous rendiez gloire à Dieu»; si seulement vous aviez fait restriction; si seulement vous craigniez Dieu; si seulement vous préleviez de vos biens le droit des pauvres!. Evidemment le texte ne mentionne pas tous ces conseils, mais le lecteur peut les déduire de la parole prononcée par le frère juste ou modéré: «Si seulement vous rendiez gloire à Dieu». Mais plus important de tout ceci est l'effet de surprise que le récit a créé en gardant un secret tout au long de la narration, pour le dévoiler soudainement au dernier moment, suscitant ainsi plus d' "intéressement artistique", lequel constitue l'un des éléments les plus puissants de l'art ou de la technique romanesque, comme le savent tous ceux qui sont versés dans ce genre littéraire.
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