LES RECITS DU CORANJusque là le dialogue semble se dérouler entre le Croyant et Pharaon, mais par peuple interposé, ou tout en faisant semblant, chacun à son tour, de s'adresser au peuple et non à l'autre. C'est donc un dialogue indirect. Puis, le Croyant revient à la charge, s'adresse à son peuple et lui rappelle l'anéantissement des peuples des siècles passés, avant de se taire, comme pour céder la place à Pharaon, lequel s'adresse à son ministre Hâmân et lui dit: «construis-moi une tour pour que je puisse voir le Dieu de Moïse», et ensuite il se tait. Là le Croyant revient et dit à nouveau à son peuple: «suivez-moi, je vous conduirais vers la Voie de la rectitude», etc. Ce dialogue divisé en parties, aurait pu être déroulé d'un seul trait, et c'est d'autant plus faisable, que le Croyant et Pharaon ne se parlent pas directement pour que leur dialogue requière des questions et des réponses et prenne la forme d'un dialogue multilatéral, mais parlent chacun à son tour, à leur peuple, au point que la parole de chacun semble n'avoir aucun rapport avec celle de l'autre. Par exemple, alors que le Croyant du peuple de Pharaon parlait de l'anéantissement des peuples des siècles passés: le peuple de Noé, le peuple de 'Âd, le peuple de Thamûd, le récit rompt la chaîne de son exposé pour donner la parole à Pharaon. Mais qu'a dit Pharaon à ce moment-là ? Il a demandé à son ministre Hâmân de lui construire une tour pour qu'il voie le Dieu de Moïse. Or, il n'y a aucun rapport apparent entre les propos du croyant et la déclaration de Pharaon. Le premier parle des expériences et sorts des peuples passés, et Pharaon de la construction d'une tour ! Puis, le Croyant a repris la parole, mais pour dire quelque chose qui n'a rien à voir, là non plus, avec ce que Pharaon venait de déclarer, puisque le Croyant dit à l'adresse de son peuple: «Suivez-moi! Je vous dirigerai sur le Chemin de la rectitude». Donc les interruptions des dialogues de la sorte, sans qu'il y ait entre les deux personnages, Pharaon et le Croyant, une discussion qui l'exigerait, doivent répondre à un motif artistique important. Autrement, pourquoi, ce récit à la différence de tous les autres récits coraniques est-il le seul à adopter ce type de dialogue entrecoupé en séquences, sans qu'il y ait un rapport manifeste entre les dialogues interrompus tantôt par le Croyant tantôt par Pharaon, alors que l'un et l'autre ne se parlent pas. * * * A notre avis, nous avons affaire ici à un récit "théâtralisé", s'il est permis de s'exprimer ainsi. Car il est familier (dans le domaine de la littérature romanesque) que certains romans ou récits, sont conçus pour être lus seulement, et d'autres sont écrits pour être joués sur scène. Certes, le roman et le théâtre se veulent deux genres bien distincts, mais il arrive que dans certains récits les situations sont totalement ou partiellement théâtrales, tout en conservant leur genre ou leur caractère romanesque. Or dans le texte dont nous traitons ici, bien qu'il soit romanesque et non théâtral, certaines parties en sont conçues avec une dimension théâtrale exigée par la situation romanesque. On peut imaginer cette situation de la façon suivante:
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