JAMAIS SANS L'ISLAM



que vas-tu donc faire papa ? me demanda soumaya.

j'attendrai jusqu'au 28 octobre, un jour après le rendez-vous donné à votre mère. nous sommes le 25 octobre 1997. elle est au maroc, à sefrou, une heure de route, même pas. si elle vient, ce sera la fête pour tout le monde, sinon le cours de l'histoire, notre histoire changera un peu puisque nous devrons quitter notre village pour aller quelque part dans le monde. l'essentiel maintenant est que vous preniez votre petit déjeuner avec appétit et dans le calme; ensuite, nous sortirons de la maison avant le lever du soleil pour rester dans la forêt jusqu'à la tombée de la nuit. les animaux de la forêt sont plus discrets que les êtres humains fussent-ils des proches parents. si votre mère vient ici, quelqu'un nous rejoindra pour nous le dire et nous retournerons alors à la maison pour l'accueillir et l'entretenir.

* * *

tenant d'une main un panier contenant des provisions et des affaires scolaires et de l'autre ma petite sajida, je sortis de la maison et me dirigeai vers la forêt. de temps en temps, je jetais un regard au ciel car j'étais partagé entre l'espoir de voir venir la pluie si attendue et si bénéfique pour nous, les habitants de la campagne, et la peur de voir les enfants trempés d'eau ou grelotter ou bloqués devant les innombrables cours d'eau impétueux qui ne manqueraient pas de se former rapidement dans les oueds de la forêt. nous fiant à allah, nous allâmes droit vers notre asile préféré. nous sommes allés vers le sud où les arbres sont plus grands, l'eau abondante, les paysages magnifiques et variés. s'il pleuvait ou tonnait les enfants pourraient sans grande difficulté aller s'abriter dans le mausolée de leur ancêtre sidi slimane ben yahya.

en route, les enfants jouaient et riaient comme si rien n'était. leur insouciance ne s'expliquait pas par le seul fait qu'ils étaient encore enfants mais aussi par la proximité du village et de la maison, la vue des visages connus qui paraissaient aux portes des maisons disséminées dans le douar et parce que leur imagination ne pouvait appréhender le cours rapide des événements et l'imminence du danger qui pourrait nous surprendre chez nous si nous y restions plus de trois jours.

loin de paraître dans la forêt comme des fugitifs, les enfants s'y installèrent comme des scouts en pique-nique. je me suis résolu alors à profiter de la disponibilité de leur temps et de leur esprit pour faire de notre demeure forestière une école à ciel ouvert où ils pourraient apprendre des choses utiles et intéressante s avec leur père comme unique professeur aidé dans son entreprise par des assistants parmi les lièvres, les hérissons, les rossignols, les corbeaux et les autres oiseaux de la forêt. comme moyens pédagogiques, il avait les arbres, leurs fleurs et leurs fruits, des pierres précieuses et brillantes que les enfants aimaient chercher et classer, des plantes sauvages dont les propriétés et les odeurs si variées étonnaient les enfants et les amusaient. le but serait d'occuper les enfants pour empêcher l'ennui de peser sur eux et leur dispenser des matières d'enseignement primaire telles que l'histoire, le calcul mental, la lecture arabe et française en plus de leur pain quotidien de coran et de hadith.

en guise de calcul, sajida compterait ses pierres brillantes, ses fleurs, les perdrix et les oiseaux qui survoleraient sa jolie tête bien coiffée, les chèvres qui, sous son regard, iraient le long de la vallée et les petits animaux sauvages qui, ici et là, chercheraient leur nourriture ou leurs semblables.

soumaya et mahdi ne trouvèrent pas de difficulté à grimper les petites montagnes que bentato entourait de ses bras robustes et touffus à la manière d'un père qui, jaloux de ses enfants, les serrait contre lui pour les protéger des dangers qui les guettaient.

sajida, elle, insistait pour parcourir sans aide la distance entre la maison et notre lieu de prédilection dans la forêt, sautait agilement sur les branches d'arbres qui jonchaient les pistes, et traversait habilement les oueds dont certains passages obligés ou plus courts étaient bloqués par des troncs de chêne ou des roches roulées par les torrents ou l'érosion silencieuse des montagnes. alors, avant de la voir fatiguée ou découragée, je la portais sur mes épaules telle une perdrix qui, après avoir tant volé, se posa entre deux branches d'arbres cachées ou comme un petit lièvre qui trouva un refuge sûr après avoir couru et haleté devant des chasseurs et des chiens impitoyables.

après vingt minutes de marche, nous arrivâmes au pied de bentato sur une colline couverte de chênes verts, de lentisques et de végétation abondante. nous y choisîmes une très petite clairière entourée d'arbres et donnant sur une partie importante du village et, chose plus importante pour nous, sur l'unique piste qui relie le village à son mausolée. ainsi, nos persécuteurs ne pouvaient pas nous surprendre. dans le cas où ils viendraient en jeep nous chercher dans l'enceinte de sidi slimane, nous aurions le temps et la possibilité de nous déplacer aisément et choisir une autre cachette. heureusement aucune voix mécanique ne vint troubler les chants de nos oiseaux et ceux des bergers qui s'éloignaient avec leurs troupeaux sur les flancs de la montagne silencieuse.

après l'installation, les enfants commencèrent à s'organiser pour rendre leur demeure "habitable". nous balayâmes ses cailloux, brisâmes ses branches sèches et pendues, délimitâmes ses portes et ses fenêtres et choisîmes l'emplacement de la salle de classe, de la cuisine et de la tour de contrôle d'où le père pouvait surveiller avec ses jumelles les allées, les petites pistes et les intrus indésirables qui pourraient éventuellement tenter de nous ennuyer.



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